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La mauvaise habitude, fruit de ma mal educacion, de défendre le faible contre le fort tu m’as souvent prédit qu’elle me portera tort. Tu avais raison. une chose est de jouer les don Quichotte chez les bobos,une autre chose est de le faire dans les milieux que je fréquente aujourd’hui.
Si je meurs aujourd’hui ou demain ou dans les semaines, je voudrais que tu dises à ma fille que je suis mort avec son nom sur les lèvres, quand elle sera assez grande pour comprendre cela. Je te fais confiance pour mentir avec détermination et véracité.
Mais je voulais aussi que tu saches la vérité : je mourrai en te hurlant. J’ai toujours su que tu serais ma dernière histoire d’amour, et cela m’a serré le coeur la première fois que je t’ai contemplée dans la vérité radieuse de ton plaisir; la certitude que je serai vieux avant que tu sois mûre et que je serai mort quand tu seras encore belle, que je quitterai la vie en te regrettant ; et chaque fois où tu t’es éloignée de moi je vivais, en petit, cette mort annoncée.
J’aimerais que tu relises ce mail par hasard, tu l’auras oublié, alors que tu voudras supprimer des messages inutiles et que ma disparition sera déjà ancienne, je voudrais que tu revois mon visage d’un jour où tu m’as trouvé beau et que tu lises sur mes lèvres ces mots que tu ne veux plus entendre : « je n’ai aimé que toi », depuis le jour où tu m’as embrassé devant le palais des Beaux Arts, depuis cette seconde même jusqu’à l’ultime seconde qui aura vu s’éteindre mon dernier battement de cœur, je voudrais que tu sois seule et nue que tu touches ces mots, que tu les respires, que tu les fasses rouler dans ta bouche, que tu les avales que tu les sentes dans ton ventre dans ton sexe contre tes fesses sur tes seins sur ta nuque, à cet endroit doux de ta peau que je préférais entre tous, à la limite de la racine des cheveux et de ton cou de cygne que ces mots se tatouent dans ton corps puisque tu ne peux plus les entendre, puisque contre toute logique le zèbre et la panthère ne peuvent plus boire ensemble, puisque que la soleil et le lune ne peuvent plus se voir, puisque le printemps et l’automne ne peuvent plus se rencontrer, puisque j’ai subi l’ablation de mes seins et de ma chatte, puisque c’est la moitié d’un homme que l’on aura incinéré.
Je voudrais que ces six mots banal, ces deux pronoms entrelacés autour d’un verbe du premier groupe à l’indicatif du passé dans une forme semi négative : je n’ai aimé que toi, coulent dans ton sang comme un anticorps je voudrais que parfois, sous l’effet de la fatigue ou quand tu entendras chanter « noone else but you » ces mots te remontent à la gorge que tu sentes leur goût salé par les larmes que je verse en les écrivant, et que tu les prononces pour le plaisir de les entendre, et la joie de celui qui t’écoutera sans savoir qu’ils ne sont que pour toi, que celui qui les a inventés, pour la première fois depuis que l’homme a créé le verbe, n’écrivait que pour toi, une nuit de juin, sachant que tu les lirais distraitement, happée par des tâches et des plaisirs, la tête emplie d’autre mots plus faciles à entendre, de promesse plus faciles à attendre, de complicités plus fortes, de projets plus réalistes, de bonheurs plus discrets et plus fréquents aussi.
Le temps que tu prononces ces mots je n’ai aimé que toi, tu retrouveras cette illusion d’avoir été unique, d’avoir été choisie, d’avoir été le but du voyage, l’objet de la quête, le fruit de la fleur, tu te souviendras de ces jours et de ces nuits, de ces matins et de ces soirs, où le cœur engourdi et le corps battant, tu te croyais la première femme heureuse, comme si l’univers n’avait existé que pour ces moments là, où chaque atome de ton être était un mot d’amour.
Mais à peine ses mots s’éteindront sur tes lèvres que tu revivras ces soirs où la vie te semblait une ennemie, ces journées à attendre, ces nuits à attendre, ces années à attendre. A peine auras tu retrouvé la sensation de mon sexe sous tes doigts, que tu te souviendras des moments où tu aurais voulu que tes doigts soient des lames. A peine auras tu revécu la caresse de ma main sur ta nuque, tu te souviendras que cette main a touché d’autres peaux douces, que cette bouche qui murmura ces mots je n’ai aimé que toi en a crié d’autres, que ces yeux, qui t’ont si souvent reflétée jouissant, t’ont fait souvent peur, que cette présence qu’aujourd’hui parfois tu regrettes t’a souvent semblé si lourde, que cette absence que la mort a créée était si souvent présente de mon vivant.
Alors tu te réjouiras que plus jamais tu ne seras tentée de revivre de nouveau ses secondes si cher payées, tu te diras que parfois la mort fait le travail que les vivants n’osent pas.
D’autres fois regardant un corps d’homme encore plus lourd, marchant d’un pas encore moins vif, tu étoufferas les remords, les regrets et les angoisse en pensant qu’autrefois un homme qui savait tout de toi t’as dit calmement je n’ai aimé que toi
Et si un jour un maladroit, un importun qui croira m’avoir connu te dira combien j’aimais l’humanité, la justice, la vérité, les combats, tu lui répondras, indifférente et polie, d’une voix assurée et sereine « il n’a aimé que moi«