7/8 Repenser l’action non violente et les luttes politiques : Cultures politiques d’opposition non-violente dans le mouvement indépendantiste indien et le mouvement des travailleurs sans terre du Brésil 

CONCLUSIONS

Maintenant que nous avons exposé les éléments qui constituent le cadre de la culture politique d’opposition non-violente pour les deux mouvements sociaux, nous sommes prêts à illustrer comment ils se connectent et contribuent à une nouvelle synthèse entre les études sur la politique contestataire et celles sur l’action non-violente. Commençant par le mouvement d’indépendance indienne, nous avons montré comment le choc moral du massacre d’Amritsar a, en 1919, contribué aux expériences émotionnelles qui ont persuadé un large éventail de la population indienne que la réinvention par Gandhi des idiomes culturels comme le swadeshi, le sarvodaya, l’aparigraha étaient appropriés à la lutte contre le pouvoir britannique et la let pour la libération de l’inde. Indirectement, l’amour gandhien (en réponse à l’oppression coloniale) a soutenu les idéologies du mouvement d’indépendance indienne en ce qui concerne l’Hind Swaraj, le satyagraha, et l’ahimsa, qui à leur tour ont directement modelé les structures organisationnelles gandhiennes pour appliquer les méthodes non-violentes et les principes dans la vie quotidienne (sous forme d’ashrams et de programme constructif) aussi bien que les campagnes publiques telles que la Marche du sel (soutenue par le Congrès national indien et de larges alliances). Ces réseaux et institutions ont reposé indirectement et ont stimulé les symboles traditionnels mis en lumière par Gandhi, particulièrement le rouet et l’habillement de fabrication domestique. Bien que notre brève description de ces liens dynamiques soit loin d’être complète, le schéma 2 fournit un aperçu de la façon dont tous ces éléments- expériences émotionnelles, idiomes culturels, idéologies, et structures organisationnelles-ont été mis et se sont mis en corrélation sous forme de culture politique d’opposition non-violente gandhienne .

Dans le cas du MST, le massacre d’Eldorado de Carajás a modelé les expériences émotionnelles des travailleurs sans terre du Brésil, qui ont gagné la sympathie publique et ont traduit leur douleur en idiomes culturels par les diverses formes de mística, qui renforce leur résolution et identité collective. La droiture morale face aux propriétaires terriens et aux troupes de police oppressives confirme indirectement leur idéologie pluraliste, mêlant les vues marxistes sur l’exploitation avec la pédagogie de l’opprimé de Freire. Cette idéologie renforce à son tour directement les structures organisationnelles de MST, utilisées pour occuper la terre improductive, construire des campements autosuffisants, favoriser la réforme agraire basée sur la justice sociale, et s’engager dans des campagnes non-violentes d’action directe comme la Marche nationale pour la réforme agraire, l’emploi, et la justice. Ces institutions et alliances, d’ailleurs, popularisent (et reposent sur) des symboles et des rituels folkloriques tels que l’hymne et le drapeau du MST. Le schéma 3 montre les processus impliqués dans la création d’une culture politique de l’opposition non-violente du MST . Nous proposons que notre discussion théorique et empirique soit dirigée vers une nouvelle approche pour étudier la politique contestataire et de l’action non-violente. En nous fondant sur Reed et Foran (2002), nous incorporons des analyses intéressantes de sociologues culturels (par exemple, Emirbayer 1997 ; Jaspe 1997 ; Scott 1990 ; Sewell 1985, 1996 ; Skocpol 1985 ; Scott 1990) aussi bien que d’auteurs des cultural studies (par exemple, V.J. Reed 2005 ; Leistyna 2005 ; Alvarez et autres 1997) sans négliger des interactions entre les groupes de protestation et les autorités gouvernementales.

En même temps, nous reconnaissons l’importance des travaux sur le mouvement social qui se concentrent sur des processus et des institutions politiques (Tilly 2004 ; McAdam et al. 2001 ; Tarrow 1998), mais répondons également à ce qu’ils ont de limité dans les explications sur la dynamique culturelle (par exemple, Goodwin et jaspe 2004 ; Mansbridge et Morris 2001 ; Buechler 2000 ; Johnston et Klandermans 1995 ; Darnovsky, Epstein, et Flacks1995 ; Morris et Mueller 1992). En bref, le cadre de la culture politique d’opposition nous aide à nous déplacer au delà des dichotomies entre la politique et la culture qui continuent à hanter l’étude universitaire de mouvement social.

L’introduction du concept de culture politique dopposition non-violente, d’ailleurs, nous permet de continuer à nous efforcer de fusionner les champs de la politique contestataire et de l’action non-violente sans reproduire la binarité de l’opposition entre non-violence pragmatique et non-violence de principes (Schock 2005 ; Ackerman et Kruegler 1994 ; McCarty et Kruegler 1993 ; Dièse 1973, 1990).

Au lieu de supposer que les formes stratégiques d’insurrection sans armes sont distinctes des formes normatives, nous mettons en lumière à la fois la culture de la politique non-violente et la politique de la culture non-violente (Terchek 1998 ; Fox 1989, 1997 ; Lakey 1987). En outre, notre concept crée un nouveau terrain en soulignant que l’opposition non-violente significative et viable se fonde sur un point de vue alternatif du pouvoir. Tandis que les chercheurs dans les deux domaines acceptent généralement l’accent mis par les weberiens sur la domination et le « pouvoir sur », nous proposons que les mouvement du MST au Brésil et d’indépendance indienne ont été (et continuent à être) efficaces grâce à leur promotion des processus de « pouvoir avec » comme l’amour, le dialogue, la collaboration, et la réconciliation (Kreisberg 1992). Bien que défectueux et inachevés, ces deux mouvements sociaux non-violents ont démontré que la fin ne justifie pas les moyens, que substituer à une tyrannie gouvernementale d’autres tyrannies ne produit pas des sociétés plus paisibles et plus équitables.

Tout en ouvrant des avenues pour la recherche, notre cadre théorique et nos études de cas soulèvent un certain nombre de questions qui doivent être abordées. Tout d’abord, nous examinons seulement une des cultures politiques du mouvement d’indépendance indienne et du MST. Comme Reed et Foran (2002:338) le font remarquer, cependant, les mouvements sociaux et les révolutions articulent habituellement des cultures politiques d’opposition multiples, certaines se contredisant. Deuxièmement, en réalité, les connexions entre les émotions, les idéologies, les idiomes culturels, les structures organisationnelles, et les cultures politiques de l’opposition non-violente sont beaucoup plus complexes et fluides que nous pourrions le discuter en quelques paragraphes. Les relations entre ces éléments sont réciproques, interdépendantes, toujours changeantes, et incorporées dans divers domaines d’interaction. Et en conclusion, nous fournissons seulement quelques exemples illustratifs de la façon dont chaque élément s’applique à ces deux cas, qui, tous les deux, méritent une analyse plus rigoureuse et plus étendue.

Nous invitons nos collègues chercheurs sur l’action non-violente et sur la politique contestataire à se rejoindre en explorant les cultures politiques de l’opposition (non-violente) pour chaque mouvement social, en améliorant notre cadre théorique dans les détails, en prolongeant nos études de cas, et en contribuant à d’autres études de cas. Avant tout, néanmoins, nous invitons les chercheurs sur l’action non-violente pragmatique et sur les politiques contestataire à se concentrer sur l’interaction entre les processus culturels et politiques. En allant au delà des dichotomies artificielles, un tel travail serait plus directement approprié aux activistes contemporains, qui réinventent et appliquent leurs propres cultures politiques d’opposition non-violente dans leurs luttes pour la justice sociale dans le monde entier.

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LES CULTURES POLITIQUES D’OPPOSITION NON-VIOLENTE EN PRATIQUE 4

Les structures organisationnelles

Les structures organisationnelles et les réseaux oppositionnels du mouvement d’indépendance indienne ont marqué la vie quotidienne aussi bien que les campagnes publiques des activistes. D’une part, Gandhi a fondé plusieurs ashram- petites communautés autosuffisantes-pour préparer les résidents à la discipline spirituelle et aux habitudes coopératives requises pour pratiquer le satyagraha. Il a également rédigé un programme constructif pour améliorer les conditions sociales d’autres communautés urbaines et rurales dans toute l’Inde. D’autre part, pour des événements importants de protestation contre le pouvoir britannique, les chefs du mouvement proche de Gandhi ont forgé des alliances stratégiques parmi des associations diverses dans diverses parties du pays, et les ont préparé aux défis spirituels et pratiques de l’action directe non-violente.
Gandhi a préféré installer les ashrams à la campagne, parce qu’il pensait que mener une vie rurale simple permettait de découvrir sa force de vérité et d’apprendre comment la mettre en application dans la lutte pour la libération nationale.N’importe qui pouvait rejoindre un ashram gandhien -sans se soucier du genre, de l’âge, de la religion, de la nationalité, ou de la caste- tant que le nouveau membre s’engageait sur les directives strictes sur la façon non-violente de penser, parler, et agir. Les résidents d’ashram mettaient ces règles en pratique en construisant leurs propres maisons et équipements ; en intégrant des intouchables en tant que membres égaux de la leur communauté ; en gérant leurs propres écoles mixtes pour des enfants de milieux multiples ; en produisant leur propre habillement, sandales, et nourriture ; et en se rassemblant pour manger, travailler, apprendre, et débattre à des heures régulières, chaque jour (Nojeim2004:119-121 ; 2000:75 d’Iyer, 299 ; Gandhi1951:192-196, 223-225).
Pour affronter les nombreux problèmes sociaux des villes surchargées et les villages pauvres de l’Inde, Gandhi a écrit un Programme constructif national fondé sur les idiomes culturels évoqués plus tôt. Le Programme constructif se concentrait sur des questions fondamentales concernant les personnes et les groupes les plus opprimés et impliquait une transformation « de bas en haut »de la société indienne. Parmi ses points principaux : unité communale entre Hindous et musulmans, fin de l’intouchabilité, la limitation des produits toxiques, des programmes améliorant la santé et l’hygiène, le développement de l’instruction et de l’éducation des adultes, la production économique décentralisée, les droits de la femme, la suppression de la pauvreté et des famines, et le développement de la filature à la main. Pour Gandhi, un tel travail social et culturel était crucial pour le mouvement d’indépendance indien, parce qu’il a permis à la population indienne d’établir des institutions sociales alternatives et des façons de vivre avant la chûte du pouvoir britannique, diffusant l’action directe non-violente pour faire campagne contre le gouvernement colonial avec un contenu positif (Bondurant 1971:180-181 ; Gandhi 1945).

«La désobéissance civile sans programme constructif, » comme Gandhi l’avait déclaré, « [est] comme une main paralysée essayant de soulever une cuillère » (2000:307 d’Iyer).

Il utilisait également le programme constructif pour convaincre des chefs du Congrès national indien et d’autres organisations gouvernementales de servir -plutôt que simplement représenter-leur collège électoral, et à s’engager dans le dialogue et la collaboration mutuels avec les opprimés vers les objectifs communs de l’autonomie et de la justice sociale (1998:164 de Terchek). Ainsi, les ashrams et le programme constructif ont représenté la dimension de construction de communauté et la base institutionnelle du mouvement d’indépendance indienne, ce qui a permis à des activistes de lutter pour la libération aussi bien pendant qu’avant et après les confrontations avec le Raj britannique.
La célèbre campagne de la Marche du sel de 1930-1931 a illustré les préparations et les alliances organisationnelles impliquées dans l’action directe non-violente (Dalton 1993 ; Dièse1960). Après avoir été choisi par le Congrès national indien pour mener une campagne de masse de désobéissance civile en 1929, Gandhi a rédigé des demandes précises destinées au vice-roi britannique et a édité des règles spécifiques pour le satyagraha individuel et collectif, soulignant que les participants devaient soit s’engager dans la désobéissance civile, soit contribuer à une œuvre constructive, soit aller en prison (Weber 1997:63-64). Ensuite, il a décidé que la campagne se concentrerait sur l’impôt britannique sur le sel, une nécessité de base pour les pauvres en l’Inde, comme symbole puissant de pouvoir injuste (1997:84 de Weber). Après avoir sélectionné la cible de l’action directe non-violente, Gandhi a décrit les buts de la Marche du sel : c’était d’être un pèlerinage spirituel pour rendre la situation visible pour les Indiens et pour les inciter à rejoindre une révolution non-violente contre le Raj britannique (1997:88 de Weber).

1930 La Marche du sel

Après identification de la cible et du but de la Marche du sel , Gandhi a décidé que les résidents les plus impliqués et disciplinés des ashrams lancent l’événement. Peu avant la date de début, il a écrit une lettre d’ultimatum au vice-roi britannique et a sélectionné 81 activistes pour le premier groupe de marcheurs, qui ont reçu des instructions spéciales sur quoi faire et la façon se comporter pendant leur voyage jusqu’à la côte de Dandi (1997:109 de Weber). En outre, Gandhi a nommé des chefs locaux qui devaient préparer des personnes et des associations dans les villes le long de l’itinéraire de la marche et invité les étudiants locaux à instruire les résidents et à établir les nécessaires d’équipements de repos (Weber 1997:110-113). Le Congrès national indien a été également impliqué : il a envoyé un bulletin avec la lettre de Gandhi au vice-roi et les règles de participation, ainsi les comités provinciaux étaient prêts pour assurer la direction dans leurs secteurs quand Gandhi a été arrêté. Et en conclusion, avec de divers réseaux locaux et régionaux disposés pour la mobilisation à grande échelle, Gandhi a édité des plans détaillés pour les gens et les villages participant à la Marche du sel et à la campagne nationale de désobéissance civile qui suivrait (Weber 1997:116-124). En bref, Gandhi a voulu que les chefs et autres participants à la Marche du sel fassent campagne pour appliquer les mêmes directives et valeurs que dans ses ashrams et le programme constructif, mais sous forme d’action directe à grande échelle et très visible contre l’État.

Les occupations de terre, les camps, et les installations de paysans ont donné leur forme aux structures organisationnelles, à la dynamique quotidienne, et aux campagnes publiques du MST. Tandis que chaque occupation de terre est unique,elles se sont déroulées généralement selon un modèle semblable depuis que le MST a émergé en 1984.D’abord, un groupe d’activistes du MST (appelés militantes) entrent dans une région pour parler avec de pauvres personnes sans terre et essaient de les persuader d’envahir la terre improductive et d’établir leur propre communauté agricole. Les militantes préparent les personnes sans terre pour les défis de la vie de camp et leur enseignent des chansons et des slogans de MST. Après le recrutement d’un nombre suffisant de personnes sans terre et de familles, les militantes les aident pour recueillir les ressources nécessaires comme le plastique pour les tentes, l’équipement de ferme, et la nourriture et pour sélectionner un secteur avec de l’eau et un sol potentiellement fertile. Alors ils tiennent une réunion pour discuter des plans pour l’installation et en conclusion, au milieu de la nuit, tous montent dans des autobus les conduisant au site. Si les personnes sans terre arrivent à leur destination sans être repoussées ou réprimées par des gardes de sécurité, elles apportent leurs approvisionnements au site, aménagent un espace libre pour les tentes en plastique noires, installent le camp, tiennent leur première assemblée, et fêtent leur victoire en agitant les drapeaux et en accomplissant la mística du MST. Au matin, le camp a été établi et le conflit public commence : les médias locaux couvre l’occupation, le propriétaire terrien exige que les autorités expulsent les familles, et les avocats de MST arguent du fait que la terre occupée était précédemment improductive et donc en infraction à la constitution. Les squatters de MST réussissent quand l’établissement national pour la colonisation et la réforme agraire (INCRA) inspecte la terre et décide de l’exproprier ; leur occupation échoue quand le propriétaire terrien persuade les autorités locales de les expulser (Branford et Rocha 2002:68-88 ; Stédile 2002:5-6).


Si les familles de MST gagnent le droit à la terre, elles transforment leur camp provisoire en foyer d’installation permanente et se focalisent sur la production agricole et les bâtiments publics. Pour instiller la discipline parmi tous les colons (qui incluent souvent des alcooliques, toxicomanes, les gens des taudis urbains, petits criminels etc.) et établir la vie communautaire, les règles initiales de la vie de camp sont souvent strictes et rigoureusement imposées. Pour rester dans le camp, les résidents doivent se réveiller tôt pour aller à l’assemblée de matin, pour participer à de nombreuses activités de mística, pour participer à des commissions et pour participer à la prise de décision, se préparer aux confrontations violentes avec des propriétaires terriens ou la police, effectuer des tâches quotidiennes et travailler la terre, s’abstenir de l’alcool et des drogues, et éviter la maltraitance du conjoint et des enfants (2002:87 de Branford et Rocha). Dans les installations permanentes, cependant, les règles sont moins rigoureuses, laissant aux résidents plus de liberté pour organiser les communautés, des réunions, prendre des décisions, et développer des méthodes viables de production collective(2002:95 de Branford et de Rocha). L’installation typique du MST se compose de coopératives agricoles et de service, les membre de la Communauté partageant les ressources, achetant des matériaux, vendant les récoltes collectivement, et contribuant à hauteur de 2% des bénéfices au MST national. Les colons travaillent également ensemble dans l’agriculture, les soins des enfants, la cuisson, les soins de santé, les programmes culturels, les projets concernant l’environnement, les médias, et l’éducation (2002:4 de Frank ;FMST). La répartition des tâches dans les règlements, d’ailleurs, n’est pas fondée sur le sexe, la race, ou la classe : les hommes et les femmes de divers milieux sociaux travaillent côte à côte dans tous les secteurs de production et d’entretien. Bien que les résidents restent souvent pauvres en termes de critères économiques standard, leur qualité de vie et leur sens global de la dignité s’améliore généralement de manière significative (Wright et Wolford 2003:264-274 ; Frank 2002 : 5).
Pour prendre des décisions collectives, les travailleurs développent des structures de gouvernance locale qui, à leur tour forment les bases de l’organisation régionale et nationale du MST. Dès le premier jour d’occupation de la terre, ils élisent un coordinateur de camp qui met de l’ordre dans l’organisation quotidienne en répartissant les gens en cellules. Chaque cellule élit deux représentants au comité de coordination, qui forme des commission qui s’occupent des besoins de base du campement. Dans ces commissions, les gens de diverses origines géographiques apprennent à se connaître, à coopérer et participent à la prise de décision. Des travailleurs et activistes locaux participent aux réunions régionales et provinciales où ils discutent des défis collectifs et élisent des leaders régionaux. Tous les deux ans, qui plus est, des membres de tout le pays se retrouvent dans des meetings nationaux, où ils élisent une commission nationale avec des représentants de chaque grande région du Brésil. Et tous les cinq ans, le MST organise un congrès national massif avec plus de 10 000 délégués, pour débattre de la future direction du mouvement et décider d’un nouveau slogan pour les cinq prochaines années. (Le slogan actuel

Réforme agraire pour un Brésil sans plantation géante »

résume la stratégie nationale du MST depuis 2000. Les délégués du MST vont choisir un nouveau slogan en novembre 2006. Ce cadre d’organisation fait entrer l’ensemble des niveaux du MST dans un processus démocratique et permet à la fois aux leaders et aux militants de base de contribuer aux décisions qui influent la vie quotidienne des gens. (Branford et Rocha 2002:251-254; Stédile 2002:7). En plus de son action locale, le MST est également devenu un membre important de Via Campesina (un mouvement paysan international), du Mouvement de justice mondial (MJM) qui a émergé pendant la bataille de Seattle en 1999, et du Forum social mondial où les activistes du MJM se rassemblent pour discuter de leurs combats contre le néo-libéralisme (FMST).
Avec son programme de Réforme agraire le MST cherche à diffuser les valeurs et les pratiques de ses travailleurs dans d’autres communautés, à l’intérieur et à l’extérieur du Brésil. Le modèle économique néo-libéral, promu par les institutions brésiliennes et internationales favorise l’agriculture extensive, la libéralisation de la production agricole et la possession privée des terres même si ces politique exacerbent l’inégalité de la distribution de terres(Carter 2005:6).

Par contraste, le MST —avec des leaders religieux progressistes et des organisations comme la commission pastorale de la terre (CPT) et l’association de réforme agraire brésilienne (ABRA)—propose un programme de Réforme agraire qui encourage la possession communautaire de la propriété, les relations coopératives entre les travailleurs ruraux ; s’oppose à la propriété improductive excessive et la spéculation sur la terre ; demande l’aide du gouvernement et le contrôle des prix pour prévenir la faim et protéger l’indépendance alimentaire du Brésil ; promeut les formes écologiquement durables de cultures à petite échelle ; et insiste sur le fait qu’un réforme agraire significative implique un développement social, économique, politique et culturel fondé sur le bien-être humain et les droits des travailleurs plutôt que les profits et la compétition économique mondiale . (Carter 2005:10-11; Martins 2003:2-3; Wright et Wolford 2003:101-105, 152-179; Domingos 2002:6-7; Branford et Rocha 2002:225-239). En fait, le MST pense que les pratiques agricoles de ses campement peuvent dresser le décor d’une transformation sociale plus larges au Brésil et ailleurs
Quand c’est stratégiquement opportun, le MST utilise ses structures organisationnelles pour soutenir des actions directes non-violentes massive et spectaculaires. En 1997, par exemple, presque 1500 colons sans terre ont entrepris une marche pacifique jusqu’à la capitale pour pousser l’administration Cardon a appliquer le programme du MST de réforme agraire et de distribution des terres. La Marche nationale pour la Réforme agraire l’emploi et la justice a couvert 1600 km et duré plusieurs mois. Les groupes du marcheurs sans terres , qui étaient partis de trois coins différents du pays sont arrivés à Brasilla le 17 avril 1997, premier anniversaire du massacre d’Eldorado de Carajas. Ils on trouvé à peu près 100 000 supporters brésiliens et étrangers. Cette spectaculaire démonstration de sympathie du public pour le MST et les travailleurs brésiliens sans terre était le résultat d’alliances avec les syndicats, d’autres mouvements sociaux, les églises progressistes, les partis politiques de gauche les agences de coopération internationale, les ONG et les réseaux internationaux qui étaient devenus particulièrement forts et étendus après le massacre de 1996. Des marches et manifestations similaires ont été organisées depuis, et à chaque fois le réseau national et mondial de supporters du MST s’étend, pendant que la pression sur les États brésiliens pour satisfaire les demandes du MST augmente (Carter 2005; Hammond 2004; Wright et Wolford 2003:208-209; Branford et Rocha 2002:197-200; Veltmeyer et Petras 2002; Stédile 2002). Dans certaine situations, les structures organisationnelles qui permettent aux activistes de satisfaire leurs besoins quotidiens et de mettre en place des communautés alternatives leur permet également d’affronter des institutions et autorités injustes (Vinthagen 2005: 369-384).

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LA THÉORIE DES CULTURES POLITIQUES DE L’OPPOSITION NON-VIOLENTE

Le cadre théorique développé par Reed et Foran (2002) est une base solide pour la construction d’une nouvelle synthèse des études sur l’action non-violente et celles sur la politique contestataire -une synthèse qui ne reproduit pas la binarité politique/culture. Le concept de Reed et Foran de « cultures politiques d’opposition » est novatrice de plusieurs façons. Tout d’abord, il évite les connotations du concept de culture politique conventionnelle, popularisée par des politologues américains au cours des années 1960, qui visait à catégoriser les sociétés entières comme « traditionnelles » ou « modernes »selon les institutions et valeurs dominantes des démocraties occidentales ( par exemple, Pye et Verba 1965; Almond et Verba 1963). En revanche, Reed et Foran (2002: 338-339) cherchent à capturer

« les moyens « polyphoniques 1» et potentiellement radicaux de comprendre les circonstances dans lesquelles divers groupes au sein d’une société s’articulent parfois afin de donner un sens les changements politiques et économiques qu’ils vivent. »

Ils soulignent, par ailleurs, que chaque société, – non occidentale ou occidentale – peut contenir plusieurs façons de mener des politiques oppositionnelles. Deuxièmement, Reed et Foran vont au delà de la sociologie américaine de la culture traditionnelle, en intégrant les connaissances particulières des chercheurs comme Ann Swidler (1986), William Sewell (1985), Theda Skocpol (1985), et James Scott (1990) dans un cadre théorique complexe , et en mettant l’accent sur le potentiel oppositionnel de l’amalgame d’expériences émotionnelles,d’expressions idiomatiques culturelles, d’idéologies et de structures organisationnelles

Plus précisément, Reed et Foran proposent que les expériences émotionnelles,expressions idiomatiques culturelles,idéologies et structures organisationnelles peuvent se réunir sous forme de cultures politiques d’opposition, ce qui peut permettre de larges coalitions d’acteurs protestataires (à travers classe,race et / ou identités de genre) pour initier et soutenir des mouvements sociaux ou révolutions (Reed et Foran 2002: 339-340).

FIGURE 1 ici

La figure 1 montre comment, dans des situations spécifiques, les cultures politiques d’opposition appuient sur divers produits et processus culturels , et à leur tour les modèlent,. Les lignes pleines indiquent des relations directes, tandis que les lignes en pointillés renvoient à des liens plus indirects entre idéologies et expériences émotionnelles, ainsi que entre idiomes culturels et structures organisationnelles. Toute connexion avec l’élément central- cultures politique d’opposition- fluctuera et peut être réciproque (Reed et Foran 2002: 340; voir aussi Foran 2005: 21). Reed et Foran appliquent ce cadre à la Révolution au Nicaragua qui conduisit au renversement du régime Somoza en 1979. Ils montrent, entre autres, que la culture politique du sandinisme a émergé d’ une combinaison complexe d’influences culturelles et les a affecté à son tour :

(1) un mélange idéologique des écrits de marxisme et Sandino;

(2) des idiomes2culturels de justice sociale folkloriques,nationalisme,démocratie et valeurs chrétiennes;

(3) des expériences subjectives de dictature et exploitation ainsi que d’émotions d’amour patriotique,colère contre le régime de Somoza, et solidarité populaire;

(4) des structures organisationnelles du Front sandiniste de libération nationale (FLSN) et une vaste alliance multi-classe (Reed et Foran 2002: 351-360).

Cet amalgame fluide et temporaire des forces politico-culturelles a contribué à catalyser et propulser la révolution sandiniste à la fin de l’année 1970.

Nous fondant sur le travail révolutionnaire de Reed et Foran, nous proposons le concept des cultures politiques d’opposition non-violente et suggérons qu’il va nous permettre de synthétiser la recherche sur l’action non-violente et la politique contestataire sans perpétuer les barrières inutiles entre processus politiques et culturels. Bien que nous acceptions la façon dont Reed et Foran perçoivent la dynamique politico-culturelle, nous nous concentrons sur une forme particulière de lutte collective: l’opposition non-violente. Avant de poursuivre, donc, laissez-nous préciser ce que nous entendons par non-violence.

[définition de la non-violence]

Comme Sharp (1973: 64), la plupart des chercheurs contemporains définissent la non-violence comme l’absence de préjudice physique intentionnel à d’autres personnes et l’action non-violente comme une technique pragmatique de contestation des autorités par résistance indirecte ou intervention directe. Mais cette « non-violence négative » n’exclut que la violence interpersonnelle et visible; elle ne vise pas les formes institutionnalisées de violence qui sont incorporés dans les modèles d’interaction et pratiques culturelles d’une société. En revanche, nous utilisons le terme opposition non-violente pour se référer à «non-violence positive » contre les structures d’oppression telles que le colonialisme, l’exclusion économique, le racisme, l’homophobie et le sexisme qui sont profondément enracinées dans les moyens collectifs de vie (Galtung 1969: 183 ).

La non-violence positive combine amour pour soi-même, les autres êtres humains, et les communautés, d’une part, avec des campagnes d’action non-violente contre les lois,autorités et institutions injustes, d’autre part. Elle exige un engagement envers des principes moraux tels que

  1. Le courage face à la répression;
  2. La recherche d’une réconciliation, plutôt qu’une défaite des opposants;
  3. Attaquer le systèmes d’oppression au lieu des oppresseurs;
  4. Accepter l’auto-souffrance sans nuire à autrui;
  5. rejeter les moyens physiques de violence; et
  6. garder l’espoir que la justice sociale est possible.

Mais il favorise également l’interaction protestataire dans la vie publique selon des rails stratégiques spécifiques

(1) soigneusement s’informer et analyser les situations d’oppression avant d’organiser des campagnes de protestation;

(2) sensibiliser les acteurs étatiques et le public sur les enjeux;

(3) se préparer aux défis spirituels, mentaux et pratiques de l’activisme non-violent;

(4) Laisser ouvertes des lignes de communication avec les autorités, les passants et les autres militants

(5) lorsque les négociations échouent, engager une action directe non violente en appliquant les méthodes telles que les marches de masse, les boycotts et sit-in;

(6) Créer des institutions alternatives et« communautés bien aimés” ( “beloved communities”) où les différences sociales ne produisent plus de violence structurelle et d’oppression (Bondurant 1971, King 1967, Shridharani 1939, Gregg 1935).

Contrairement à Sharp, en conséquence, nous soutenons que le potentiel de transformation de l’opposition non-violente est plus grand lorsque les principes moraux et stratégies instrumentales, le renforcement des communautés de base et les campagnes de protestation spectaculaires, ainsi que la résistance culturelle et la politique centrée sur l’État se renforcent mutuellement (voir VJ Reed 2005: 286-315; Duncombe 2002: 5-9; Buechler 2000: 163-164).

Notre approche de la non-violence et l’opposition non-violente reflète une définition alternative du pouvoir dans le monde moderne. Les chercheurs sciences sociales suivent généralement Weber en supposant que pouvoir dérive de la légitimité d’utiliser la violence et la coercition que possèdent ceux qui contrôlent l’État, qui peut

« réaliser leur propre volonté dans une action commune même contre la résistance des autres » (Weber, 1946: 180) .

Par exemple,Sharp (1973: 7, voir aussi Sharp 1990: 3) commence par la capacité des individus ou groupes à exercer le pouvoir « des objectifs politiques,particulier par les institutions gouvernementales ou par des personnes en opposition ou en appui à ces institutions. » il fait ensuite valoir que le pouvoir politique repose principalement sur le consentement des citoyens ordinaires, qui peuvent toujours décider de retirer leur obéissance et organiser une action non-violente efficace conter les gouvernements tyranniques, si elles ont la volonté nécessaire, le courage et les connaissance (Sharp 1973: 8-16 , 25-32, 38). les chercheurs sur la politique contestataire, en revanche, évitent généralement l’individualisme et le volontarisme du point de vue de Sharp et préfèrent les théories structurelles du pouvoir mettant l’accent sur la lutte entre institutions politiques dominantes et organisations de protestation mobilisés (voir aussi Lukes 2005, Vinthagen 2005, Foucault 2004, Burrowes 1996, McGuinness 1993 ; Martin 1989). Mais ils acceptent généralement la notion de Weber selon laquelle le pouvoir est un jeu à somme nulle où le gain d’un groupe est la perte d’un autre groupe. Nous sommes d’accord avec Seth Kreisberg (1992), cependant, que le pouvoir peut aussi être une force constructive pour la croissance personnelle, le dialogue, la coopération et la libération -force qui profite aux individus,groupes et communautés de toute la société. Alors que la perspective wébérienne met en évidence la façon dont les dominants ont pouvoir sur les dominés, notre perspective souligne que la non-violence positive peut transformer une situations d’oppression dans des paramètres favorisant le « pouvoir avec »,où des personnes ayant des positions différentes dans les systèmes d’oppression

« peuvent répondre à leurs besoins et développer leurs capacités pas dépens des autres mais en agissant de concert avec autres »(Kreisberg 1992: 84).

Au lieu de prendre pour acquis que la lutte pour le pouvoir implique nécessairement des conflits irréconciliables entre gagnants (oppresseurs) et perdants (opprimés), par conséquent, nous admettons la possibilité que le pouvoir peut s’étendre, permettant personnes et groupes sociaux avec nationales diverses, raciale,classe, ou identités sexuelles à travailler ensemble atteindre des objectifs communs.

A partir de ces conceptualisations alternatives de la non-violence et du pouvoir, nous soutenons que les cultures politiques d’opposition non-violente sont significatives quand elles transforment les relations humaines définies par la domination en des relations humaines définies par l’amour, le dialogue et la coopération. Le but des cultures politiques d’opposition non-violente, d’ailleurs, est ,non seulement de prendre le contrôle des États et remplacer une tyrannie par une autre, mais d’étendre le pouvoir à promouvoir la justice sociale dans les États, entre États et sociétés, au sein des sociétés et entre sociétés. Pour illustrer la pertinence théorique et empirique de notre concept, nous allons l’appliquer à deux cas qui sont habituellement étudiés séparément. Alors que le mouvement d’indépendance de l’Inde est une référence commune pour les chercheurs sur l’action non-violente, ces chercheurs ne considèrent généralement pas le mouvement des travailleurs sans terre contemporaine au Brésil (MST) comme un mouvement non-violent. Mais même les militants MST n’utilisent pas la même terminologie que les militants gandhiens, l’analyse ci-dessous montre que leur culture politique d’opposition n’est pas moins non-violente dans la pratique

1 Plurivocals (NDT)

2 Idioms. Ce concept explicité plus tard désigne des mots et expressions forgés par les militants et qui aident à construire la culture d’un mouvement . Typiquement carniste, spécisme pour le mouvement anti-spéciste. Le concept est explicité par la suite, en rapport aux mots forgés par Gandhi et le MST

5/8 Repenser l’action non violente et les luttes politiques : Cultures politiques d’opposition non-violente dans le mouvement indépendantiste indien et le mouvement des travailleurs sans terre du Brésil

 

LES CULTURES POLITIQUES D’OPPOSITION NON-VIOLENTE EN PRATIQUE 3

Gandhi et Romain Rolland

Idéologies

les vues de Gandhi sur l’autonomie indienne, les objectifs de vérité et les moyens non-violents constituent les fondements idéologiques du mouvement indépendantiste indien. Dans Hind Swaraj, son plus important texte de libération nationale, Gandhi (1938) conteste l’idée que la prospérité matérielle et les progrès technologiques sont les moteurs de la civilisation. Il fait valoir qu’en réalité des inventions modernes comme les chemins de fer ont permis à l’Empire britannique de coloniser l’Inde et causé des famines, des maladies et des conflits religieux. Dans sa définition de la civilisation, Gandhi en revanche, a souligné les valeurs morales et spirituelles de la civilisation et a suggéré que, selon ces normes, l’Inde traditionnelle a été civilisée et bienveillante alors que la Grande-Bretagne moderne était non-civilisés et mauvaise. Son idée de la bonne vie insistait sur la restriction des désirs matériels, le scepticisme à propos des nouvelle technologie et la coopération plutôt que la concurrence (Hardiman 2003:69). Contrairement aux extrémistes nationalistes indiens, qui ont choisi des méthodes violentes pour mettre fin au règne britannique et s’emparer du contrôle de l’État, Gandhi a souligné que l’Inde ne pourrait devenir vraiment libre, si elle ne se débarrassait pas de l’’oppression interne et de la pauvreté, autant que de la domination impériale. À ses yeux, un État indépendant indien gouverné par une élite indienne autoritaire et un système politique fondé sur l’intérêt personnel serait tout aussi tyrannique que l’élite britannique et le système politique actuels. Pour Gandhi , une swaraj (libération nationale) significative n’est possible que si les Indiens de toutes les castes utilisent des moyens non-violents pour parvenir à des objectifs positifs, tant dans la vie quotidienne que dans les campagnes de protestation (Nojeim 2004:101-105  ; Chabot, 2003:43-44  ; Terchek 1998:140-142).

Le concept of satyagraha représentait la théorie de Gandhi sur une opposition non-violente à l’impérialisme et aux autres structures oppressives. Pour distinguer cette approche de la résistance passive occidentale, Gandhi (1928:105-106) a créé le terme satyagraha et l’a traduit comme

la force qui est née de la vérité et de l’amour

ou la force de la vérité. Le pratiquant de satyagraha croit que la vérité reflète le sens de la dignité de la moralité et de l’autonomie de chaque personne, et que la négation d’une telle vérité par les personnes ou les institutions qui dominent doit être combattue activement, publiquement et sans violence.. Selon la satyagraha, une injustice fondamentale faite à quiconque touche tout le monde, parce que tous les humains étaient reliés entre eux, et donc partiellement responsables des injustices chez eux, dans leur communauté et la société. Gandhi a affirmé que la satyagraha était une arme morale que tous les êtres humains—jeunes et vieux, pauvres et riches, hommes et femmes, éduqués et illettrés, puissants et sans pouvoir— pouvaient utiliser dans la vie sociale, aussi longtemps qu’ils pouvaient faire preuve de courage et de force,pour éviter la violence en mots et en actes (Vinthagen 2005: 319-384). L’action non-violente , dans cette perspective, était davantage qu’une technique pragmatique pour obtenir un changement social pacifique; c’était aussi un mode de vie pour transformer les relations interpersonnelles pour créer un pouvoir avec des interactions fondées sur l’amour,le dialogue, et la coopération—avec les partenaires comme avec les adversaires(Terchek 1998:183). La meilleure façon de transformer les opinions et comportements des opposants, qui plus est, passait par une souffrance volontaire, qui non seulement affirmait l’autonomie de l’activiste gandhien et son courage à s’élever contre l’oppression, mais aussi forgeait un esprit, un cœur et une âme d’opposant (Terchek 1998:180-184). En pratique, la satyagraha impliquait les mêmes principes moraux et et la même stratégie que ceux que nous signalions plus tôt dans notre discussion sur la non-violence positive.

Gandhi a adopté et révisé l’ahimsa, un principe familier de la philosophie hindoue. Pour lui, ahimsa voulait dire plus que de « ne pas faire de mal aux autres » (la non-violence négative); c’était une force de libération active qui

« est diminuée par chaque pensée mauvaise, par une hâte inutile, par le mensonge, par la haine, par le souhait de nuire à quelqu’un.” (Terchek 1998:186).

Ahimsa, en d’autres mots rendait la vie sociale vertueuse possible et reposait sur une conception de l’amour dirigée vers le respect de tous les êtres humains —pour les amis et les familles autant que pour les ennemis — plus que vers l’intimité, la sentimentalité ou le désir. Bien que personne n’était capable d’atteindre un tel amour pour soi-même ou les autres dans la réalité, Gandhi poussait les gens à consacrer leur temps et leur énergie à leur recherche de la perfection. Sa vision étendue de l’amour était spirituelle et morale autant que politique. Il ne niait pas les conflits autour de la distributions des richesses ou de la reconnaissance des différences, mais cherchait à créer des relations politiques fondées sur un dialogue constructif et la coopération avec les autres plutôt que l’égocentrisme et la domination (Vinthagen 2005: 215-244; Chabot 2003: 23-28). Alors que Gandhi reconnaissait que la raison jouait un rôle dans l’ahimsa, il mettait l’accent sur des qualités émotionnelles telles que l’humilité, l’ouverture, la mutualité, la compassion, et l’amour. Et alors qu’il demandait à ses amis activistes de traduire leur propre aperçu de la vérité dans leur action, il croyait que la vérité de chacun était partielle et méritait un respect égal (Terchek 1998:185-189). Ainsi, chacune des trois facettes majeures de l’idéologie gandhienne —swaraj, satyagraha, and ahimsa— soulignait que transformer la peur et la soumission en courage et opposition non-violente impliquait des combats constants de la part d’individus, de failles de communautés et de la société .

 

Portrait de Paulo Freire

L’idéologie du MST est fondée sur la pratique : quand les peuples sans terre participent à des occupations de terre, ils développent une conscience politique et une vision du monde contestataire, ce qui catalyse à son tour de nouvelles actions contre l’oppression. Les activistes MST préfèrent synthétiser les apports de plusieurs penseurs plutôt que suivre une école unique de pensée (Branford and Rocha 2002:65-67; Stedile 2002). En général, cependant, ils puisent dans le marxisme pour l’analyse structurelle de la lutte de classes, de la réforme agraire et du capitalisme mondial et dans la pédagogie critique de l’éducateur brésilien pour motiver et apprendre au peuple sans terre à prendre en charge leurs propres combats. Avec son mélange d’idéologies pluraliste et orienté vers la pratique, le MST cherche à encourager les travailleurs opprimés du Brésil et d’autres parties du monde à défier l’agriculture actuelle et la manière dont les terres sont distribuées dans les États et sociétés néo-libéraux

les occupations de terre du MST au Brésil font remonter à la surface la lutte entre le capital et le travail et démontre la pertinence pratique de l’idéologie marxiste. Les propriétaires, surtout ceux qui appartiennent à l’Union démocratique rurale (UDR), affirment que la possession privée des moyens de production agricole et la distribution capitaliste de la richesse stimule la modernisation, la croissance économique et la compétitivité brésilienne sur les marchés internationaux. Les activistes MST , au contraire pointent le fait que l’extreme concentration des terres associée avec une agriculture capitaliste ont fait du Brésil l’une des société les plus inégalitaires au monde , malgré l’abondance des sols fertiles (Wright and Wolford 2003:xvi). Ils pensent que le peuple le plus opprimé au Brésil, les travailleras sans terre ont besoin de joindre leurs forces et de promouvoir une vision alternative de la l’agriculture, fondée sur des relations coopératives entre travailleurs, une distribution égalitaire des terres, et des formes durables d’agriculture. Les idées radicales du MST à propos de la révolution agraire sont clairement en opposition avec les intérêts sociaux et économiques des propriétaires capitalistes qui ont répondu par une répression violente et une campagne anti MST. En plus des propriétaires le MST se heurte également au neo-libéralisme du gouvernement brésilien ( incluant celui de Lula) et au système mondialisé (Martins 2003). C’est pourquoi beaucoup de marxistes contemporains reconnaissent que le MST figure parmi les mouvements les plus révolutionnaires du onde actuellement (Wright and Wolford 2003:307-315; Veltmeyer and Petras 2002).

Mais ! Ce n’est pas au Brésil C’est au Mexique ! /Je sais c’est pour faire kawaï /Jamais vu mec si con !

L’autre influence majeure du MST , la pédagogie de Freire est fondée sur une vision marxiste des inégalités structurelles et de la lutte des classes, mais se concentre sur le développement d’une conscience et d’une action politique parmi les opprimés, par l’éducation. La Philosophie de Freire insiste sur des formes particulières de dialogue, de coopération et d’amour, destinées à transformer les personnes et les communautés, à la fois à l’école et dans la société (Freire 1993). Au lieu de dominer les étudiants et de les traiter comme les récepteurs passifs de la connaissance, les éducateurs freiriens créent des classes et des communautés apprenantes où les relations entre enseignants et élèves sont définies par une réflexion, une communication et une participation mutuelles parmi des sujets actifs qui étudient leurs mondes sociaux. En négociant le pouvoir, et en créant des espaces de collaboration, les enseignants encouragent les élèves a partager leurs expériences de l’oppression à développer des stratégies pour leur libération et à s’engager dans des combats collectifs pour la justice sociale (Darder 2002:204; McLaren 2000:148-160).

Pour Freire (1993:70-71), l’amour de l’humanité est la force qui permet un dialogue polémique et une coopération entre enseignants et élèves et entre leaders révolutionnaires et opprimés,parce qu’il incite les gens à profiter et apprendre des différences au lieu de le masquer. Contrairement à l’amour sentimentale qui ignore ou poétise la différence entre soi et l’autre, la conception de l’amour selon Freire implique une interaction mutuelle entre des personnalités uniques et interdépendantes qui respecte les différences de chacun et forge «  l’unité dans la diversité » pour accoplir une émancipation personnelle et politique (McLaren 2000:171). Les pratiquants de cette sorte d’amour défient l’oppression entre personnes et communautés

« sans réifier déshumaniser ou démoniser ceux qui ne sont pas d’accord » (Freire 1997:63; voir aussi Darder 2002:105).

Bien que Freire utilise un langage distinct, ses visions sur l’amour ressemble étroitement à la notion d’ahimsa chez Gandhi.

Le cadre idéologique du MST sert de cartes d’orientation pratique pour l’action, et change donc en réponse aux circonstances (Veltmeyer and Petras, 2002). Les activistes MST se référent au marxisme pour expliquer les connections entre capitalisme, privation de terre et exploitation agricole et pour comprendre le besoin de combat politique pour permettre une transformation structurelle. Ils pensent qu’une révolution violente serait contre-productive dans le contexte actuel brésilien (Branford and Rocha 2002:66). La définition de l’amour par Freire est davantage utile dans la situation présente. Comme le souligne plusieurs intellectuels du MST l’amour de l’humanité et de la nature motive les gens pour participer à des compagnes d’action directe de masse et à des projets sociaux destinés à développer les méthodes de production alternatives, les institutions éducatives, les relations de genre, les canaux de communication, les œuvres culturelles, des installations de santé, la législation sur les droits de l’homme et les relations internationales (Friends of the MST (FMST); Landless Voices).

Le MST expose son éthique de l’amour sur une affiche intitulée « nos engagement envers la terre et la vie », affichée dans les bureaux, les campements partout au Brésil. L’affiche affirme que tous les êtres humains et formes de vie sont précieuses et énonce les principes suivants :

 

  1. Aimer et préserver la terre et les créatures naturelles

  2. Améliorer notre compréhension de la nature et de l’agriculture.

  3. Produire de la nourriture et abolir la faim. Eviter les monocultures et l’utilisation depoisons agricoles.

  4. Préserver les plantes et planter des forêts dans de nouveaux espaces.

  5. Faire attention aux sources, rivières, ares et lacs. Combattre contr ela privatisation de l’eau.

  6. Rendre plus beau les campements et communautés, olater de sfleurs des plantes médicinales, des légumes et des arbres.

  7. Gérer les déchets et combattre toute pratique qui contamine ou nuit à l’environnement.

  8. Pratiquer la solidarité et combattre l’injustice et les aggressions contre les gens, les comunautés et la nature.

  9. Combattre la concentration des terres pour que tout le monde puisse avoir des terres, du pain, de l’éducation et de la liberté.

  10. Ne jamais vendre la terre que nous avons cquise la terre est un bien absolu pour les futures générations .

 

Bien que les travailleurs sans terre font visiblement plus attention à l’environnement que Freire, leurs principes reposent sur l’amour comme source principale de libération humaine. Un exemple concret de la manière dont le MST met en pratique le preier principe

«Aimer et préserver la terre et les créatures naturelles » 

BioNatur, un producteur de semences bio créé par les fermiers MST en 1997. BioNatur fournit aux travailleurs agricoles des alternatives pratiques aux méthodes chimiques des groupes agricoles , leur perettent de traduire leur engagement idéologique en pratique et soutenir le mouvement plus large de réforme agraire et justice sociale (FMST; Branford 2001).

3/8 Repenser l’action non violente et les luttes politiques : Cultures politiques d’opposition non-violente dans le mouvement indépendantiste indien et le mouvement des travailleurs sans terre du Brésil

LES CULTURES POLITIQUES D’OPPOSITION NON-VIOLENTE EN PRATIQUE 1/3

Dans notre comparaison des cultures politiques d’opposition non-violente dans le mouvement indépendantiste indien et MST du Brésil, nous ne prétendons pas offrir de nouvelles preuves ou analyse complète. En appliquant et étendant le cadre théorique proposé par Reed et Foran (2002), cependant, nous fournissons de nouvelles connaissances sur les réalités pratiques de la politique de culture non-violente, la culture de politique non-violente, et les intersections entre elles. Pour chaque mouvement social, nous allons brièvement illustrer comment, dans certaines circonstances, les expériences émotionnelle, culturelles, les idiomes, idéologies et structures organisationnelles se sont réunis pour produire une culture politique d’opposition non-violente (voir aussi Foran 2005: 18-24). Comme indiqué dans la figure 1, les liens entre expériences émotionnelle et idiomes culturels, et entre idéologies et structures organisationnelles, étaient plus directs et visibles que ceux entre expériences émotionnelle et idéologies, et entre structures organisationnelles et idiomes culturels. La connexion de chaque élément à la culture politique d’opposition non-violente, qui plus est, était immédiate et explicite. Nous soulignons, cependant, que c’est l’évolution des relations entre éléments– pas la nature de chaque élément en soi – et les constante évolution des contextes sociaux de ces relations qui a permis la formation des cultures politiques d’opposition non-violente. Comment les acteurs ont-ils réellement construit ces relations et répondu à leurs contextes sociaux, c’était imprévisible et, en partie, dépendait de leur créativité et leurs efforts.

Nous passons maintenant à un examen empirique de cette dynamique de cause/effet dans nos deux cas.

Expériences émotionnelle

Lors du mouvement d’indépendance indienne, qui devint un phénomène national après la Première Guerre mondiale, la population indienne a connu l’oppression structurelle du colonialisme sur une base quotidienne. Mais il y eut un événement de transformation1 le massacre à Amritsar qui a attiré largement l’attention du public sur la brutalité sous-jacente de la domination britannique, incitation à des émotions de juste colère et de dégoût du gouvernement impérial chez des hommes et femmes de divers religions, groupes ethniques et castes ( Sewell 1996).

Le 13 Avril 1919, le général britannique Dyer, qui avait récemment pris le commandement militaire à Amritsar, a ordonné à ses soldats d’ouvrir le feu sur une foule de manifestants pacifiques, qui étaient rassemblés dans le parc de Jallianwa la Bagh pour exprimer leur soutien à la campagne Anti-Rowlatt Bill menée par Gandhi, qui protestait contre les restrictions sur les libertés civiles (Fein 1977: 24-30; Furneaux 1963: 33-47). Dyer dit à ses troupes de viser les zones où la plupart des gens étaient rassemblés et, en particulier sur les manifestants qui tentaient désespérément de grimper sur les murs entourant le parc. la fusillade a duré pendant environ 6 mn, tuant des centaines d’adultes et enfants, et en blessant plus de 1200, la plupart par des balles dans le dos, et le général a refusé d’organiser l’assistance médicale après le massacre et a déclaré plus tard qu’il voulait envoyer un message moral à tous les nationalistes indiens et leur montrer que la résistance contre l’Empire britannique était séditieuse et inutile (Draper 1985: 155).

Après cet événement terrible, le Raj2 britannique a tenté de limiter la publicité négative en Inde et étranger en nommant Lord Hunter à la tête d’un comité chargé d’enquêter la question. Mais pour éviter une tricherie, les nationalistes indiens ont organisé leur propre comité, avec Gandhi en tant que membre éminent, et publié leur propre rapport. Le rapport du Comité Hunter a donné à retraite anticipée de Dyer, mais il ne l’a pas accusé, ni lui ni les autres autorités du Pendjab d’inconduite criminelle (Fein 1977: 184). Le rapport du Congrès national indien, en revanche, était un acte accusation sévère contre le général Dyer, le gouvernement Punjabi, et le vice-roi britannique. Sur la base des preuves verbales fournies par les autorités, d’entrevues avec 1.700 témoins et les photographies dramatiques des victimes, il a condamné le général pour

« son acte d’inhumanité calculée envers des hommes totalement innocents et non armés, y compris des enfants »

et ont fait valoir que le vice-roi

« accorda aux fonctionnaires [au Pendjab] une indemnité avec une hâte indécente »(Draper 1985: 201-202).

L’impact émotionnel du massacre d’Amritsar, de l’échec du Comité Hunter à punir les responsables, et du rapport indépendant des nationalistes indiens, sur la conscience politique de la population indienne a été spectaculaire, généralisée et durable. En réponse à leurs sentiments de colère et peur, des gens qui étaient auparavant restés en marge, rejoignaient désormais le mouvement d’indépendance de l’Inde dans l’espoir de construire une société moins oppressante. Des dirigeants nationalistes qui avaient auparavant appelé à des réformes politiques et au statut de dominion, exigeaient désormais l’autonomie complète par rapport à l’Empire britannique. Motivé par l’indignation, Gandhi lui-même comme d’autres personnalités de premier plan en Inde, a publiquement renoncé à sa loyauté envers l’Empire britannique, rendu les médailles qu’il avait reçues pour sa contribution à la Première Guerre mondiale, et s’est pleinement engagé dans la lutte pour mettre fin à la domination britannique en Inde ( Chabot 2003: 50; Andrews 1930: 230).

Famine en Inde sous le pouvoir britannique

le MST au Brésil combat l’oppression structurelle provoquée par la marginalisation économique, la modernisation agraire, la répartition inégale des terres, et la mondialisation néolibérale plutôt que le colonialisme. Comme pour le mouvement de l’indépendance indienne, cependant, il y a un événement de transformation dans l’histoire du MST qui a eu une influence sur les expériences émotionnelle d’injustice sociale des militants et sur l’expansion du mouvement social. Le 17 Avril 1996, 1500 militants MST bloquaient une route dans l’État de Parà, près d’Eldorado dos Carajas, pour contester le refus du gouvernement de légaliser l’installation des familles occupant des terres sur la plantation Macaxeira. Vers fin de l’après-midi, 155 soldats de la police militaire sont arrivés sur les lieux et ont encerclé les manifestants. Puis, vers 16h30, ils ont commencé à tirer sur la foule désarmée des hommes,femmes et enfants avec des mitrailleuses et fusils. les militants MST ont tenté de fuir, mais au moment où les tirs ont cessé des centaines de corps gisaient sur la route, avec 19 morts et 57 blessés graves. Les médias locaux ont cité plus tard Mario Pantoja Collares, le commandant de la police militaire ce jour là, qui disait :

« Mission accomplie. Personne n’a rien vu »(Branford et Rocha 2002: 142).

Mais le commandant ne savait pas que quelqu’un avait filmé la plupart des actes de violence à l’aide d’une caméra vidéo. Ces images apparurent plus tard à télévision et ont provoqué un tollé général au Brésil et à l’étranger. Entre autres , elles montraient qu’au moins 10 des militants morts avaient été exécutés avec balles dans la tête et le cou, tandis que 7 autres avaient été tués à coups de machette. Quelques jours plus tard, d’ailleurs, un témoin a déclaré que les propriétaires locaux avaient soudoyé la police pour faire tuer les éminents dirigeants du MST et mettre fin à la campagne de protestation (Branford et Rocha 2002: 139-147; Wright et Wolford 2003: 208).

En réponse au massacre d’Eldorado de Carajás, à l’indignation des citoyens brésiliens, et à la pression par des organisations de défense des droits de l’homme, le président Cardoso apparut à la télévision brésilienne, appelant à la punition des personnes impliquées et permettant aux familles du domaine Macaxeira de s’installer et créer le camp Formosa. Mais le gouvernement fédéral avait peu d’influence sur les autorités de l’État à Pará ; elles ont continué à défendre la position des propriétaires fonciers et refusé d’aider les survivants du massacre. Premièrement, aucun des propriétaires ou des policiers militaires impliqués ne dut faire face aux répercussions juridiques. Une enquête interne, menée en 1996 par la police de l’État Pará, a conclu que les 155 soldats étaient innocents, alors qu’un jury a acquitté le commandant Pantoja et ses supérieurs, faute de preuves en 1999 (Branford et Rocha 2002: 145-147). Cette décision a été annulée, cependant, et en 2002 deux des policiers responsables ont été condamnés à de longues peines de prison (Wright et Wolford 2003: 209).

Tout d’abord, le choc moral (Jasper et Poulsen 1995) de l’Eldorado de Carajás tragédie a attristé les militants du MST et a fait naître la peur d’une répression plus brutale par les troupes de police militaire et les forces paramilitaires engagés par propriétaires. Mais, encouragés par le soutien croissant aux travailleurs sans terre et laux MST au Brésil, ils ont transformé leur colère et anxiété en un plus grand engagement dans leur lutte pour l’occupation des terres, la réforme agraire et la justice sociale qu’auparavant (Branford et Rocha 2002: 144-147). Depuis 1996, les militants MST ont commémoré l’anniversaire du massacre d’Eldorado de Carajás et construit plusieurs monuments à la mémoire de ceux qui y ont perdu leur vie (Wright et Wolford 2003; 209). La résonance émotionnelle de cet événement de transformation reste une force puissante pour le MST, car il continue d’étendre ses activités et réseaux tant intérieur qu’à extérieur du Brésil.

1 transformative event

2 Nom officiel de l’empore britannique des Indes (388 millions d’habitants)

1/8 Repenser l’action non-violente et la politique contestataire : Cultures politiques d’opposition non-violente dans le mouvement indépendantiste indien et le Mouvement des travailleurs sans terre du Brésil 1/9

 

SEAN CHABOT , Eastern Washington University, STELLAN Vinthagen Université de Göteborg

[cette traduction automatique non officielle n’est destinée qu’à inciter le public francophone à faire l’effort de lire l’article original en anglais. ]

 

La synthèse émergente entre les travaux sur l’action non-violente et ceux sur la politique contestataire a donné des informations importantes. Pourtant elle reproduit aussi la dichotomie entre politique et culture qui continue à hanter les deux champs. La poursuite des travaux récents de Jean-Pierre Reed et John Foran, et notre contribution introduit les concepts de cultures politiques d’opposition non-violente pour forger une nouvelle synthèse, qui reconnaît l’aspect politique de la culture non-violente et l’aspect culturel de la culture de la politique non-violente. Nous appliquons notre cadre théorique à deux cas empiriques, le mouvement d’indépendance en Inde et le Mouvement des travailleurs sans terre au Brésil (connu sous le nom de Movimento sem Terra ou MST ), et conclure par des idées pour d’autres recherches sur les cultures politiques d’opposition non-violente.

INTRODUCTION

Alors que les mouvements sociaux pacifiques continuent d’exercer une influence puissante sur les gouvernements et sociétés dans le monde entier, les chercheurs qui travaillent sur l’action non-violente et les politiques contestataires se rendent compte de plus en plus qu’ils ont beaucoup à apprendre les uns des autres. Informé par les précédentes tentatives de synthèse, Unarmed Insurrections de Kurt Schock (2005) innove en fusionnant l’action non-violente et études des politique contestataire. Alors que la fertilisation croisée a commencé au cours des années 1990 (Sommer 2000, McAdam et Tarrow 2000, Zunes, Kurtz et Beth 1999, Ackerman et Kruegler 1994, McCarthy et Kruegler 1993), Schock est le premier à développer un cadre théorique complet fondé sur des constats et des débats-clés dans les deux domaines. Le but de notre contribution à ce volume est d’étendre – et où c’est nécessaire de réviser – le travail de Schock, et d’appliquer notre propre approche au mouvement indépendantiste indien et au Mouvement contemporain des Travailleurs sans terre au Brésil (Movimento Sem Terra ou MST). Bien que nous apprécions la clarté d’analyse et l’applicabilité empirique de Insurrections sans armes, nous pensons aussi qu’il reproduit certains trous noirs des travaux sur l’action non-violente et de ceux sur la politique contestataire. À notre avis, les deux domaines de recherche ont tendance à se fonder sur la dichotomies entre politique et culture, qui restreint l’exploration des intersections entre ces domaines.

A la suite de la perspective de Gene Sharp, le pionnier incontesté dans le domaine, les chercheurs sur l’action non-violente fondent généralement leurs théories sur les distinctions scientifiques et sociales entre choix rationnel et comportement éthique, entre explications objectives et interprétations subjectives, et particulièrement entre intérêts stratégiques et valeurs morales. The Politics of non-violent Action de Sharp (La politique de l’action non-violente), par exemple, expose à titre liminaire qu’il se concentrera sur l’action non-violente comme une technique politique plutôt qu’une manière culturelle de vivre:

«les  relations entre la technique et les problèmes éthiques, et entre les systèmes de croyance incitant à un comportement non-violent et la technique, sont pour la plupart pas discutés ici »(Sharp 1973, voir aussi Sharp  1990: 2).

Ses successeurs adoptent généralement les mêmes point de vue théorique, le traitement « pragmatique » et le principe de l’action non-violente comme un ensemble de techniques de protestation distinctes, et la politique et la culture comme deux domaines distincts (Schock 2005: 36-37; Burrowes 1996: 100). Ces binarités conduisent les chercheurs à sous-estimer la culture de la politique non-violente, la politique de la culture non-violente, et les liens entre eux.

Bien qu’ils accordent plus d’attention maintenant aux processus culturels que par le passé, les éminents spécialistes des politique contestataire continuent de construire leurs arguments sur des oppositions catégoriques,traitant la culture en tant que médiateur entre institutions politiques et action collective (Williams 1977: 99). Prenons, par exemple, les dernières dynamique du modèle de contention mis au point par Doug McAdam,un des chercheurs les plus influents de ce champ. Il attribue plus d’importance aux mécanismes culturels tels formation d’identité et fabrication de sens que l’ancien modèle de processus politique de McAdam (1982), mais les conçoit encore comme mettant en place le décor pour  l’action politique organisée et la réforme gouvernementale – non en tant qu’objets  politiquement significatifs par eux mêmes ( Goodwin et Jasper 2004: 211). Nous reconnaissons que politique et culture ne doivent pas être confondus, nous suggérons que ceux qui étudient la politique contestataire devraient accorder plus d’attention à l’interaction entre ces sphères de vie sociale.

Nous ne sommes pas seuls à soulever cette question théorique cruciale. Particulièrement dans le domaine de politique controversée, les chercheurs sont de plus en plus nombreux à contester le biais structuraliste de personnalités comme McAdam et ses collaborateurs Charles Tilly et Sidney Tarrow, les mettant au défi de prendre le lien entre politique et culture plus au sérieux (McAdam, Tarrow et Tilly 2001). Dans Rethinking social movements (  repenser les  mouvements sociaux) ,par exemple, Jeff Goodwin et James Jasper (2004) lancent un débat sur le modèle de médiation de la culture et incluent des déclarations importantes des deux côtés du débat (voir aussi VJ Reed, 2005, Duncombe 2002, Mansbridge et Morris 2001 ; Buechler 1999, Alvarez, Dagnino et Escobar 1998). Mais alors que l’importance de leur collecte confirme que le champ est en pleine mutation, ils ne proposent pas une alternative concrète au cadre théorique privilégié par des chercheurs comme McAdam, Tarrow et Tilly. À notre avis, les travaux récents les plus prometteurs à cet égard proviennent de Jean-Pierre Reed et John Foran (2002), qui proposent le nouveau concept de « cultures politiques d’opposition » comme un moyen d’explorer le terrain fertile entre politique et culture. En tant que spécialistes de la sociologie des révolution, Reed et Foran sont en marge du champ de la politique contestataire, mais nous pensons que leur concept nous permet de repenser les liens avec les études sur l’action non-violente, particulièrement dans les cas du mouvement d’indépendance de l’Inde et du MST au Brésil.

La section suivante présente un nouveau concept pour l’étude de l’action non-violente et de la politique contestataire, « cultures politiques d’opposition non-violente, » sur la base des efforts théoriques de Reed et Foran. Ce concept permet une nouvelle synthèse qui se déplace au delà des dichotomies actuelles politique/culture et repose sur une vision alternative du pouvoir. La troisième section porte les quatre éléments qui façonnent cultures politiques d’opposition non-violente, expériences émotionnelle, idiomes culturels, idéologies et structures organisationnelles- dans le mouvement indépendantiste indien dirigé par Gandhi et le MST, en cours au Brésil. Il suggère que certains mouvements sociaux non-violents doivent être considérés comme à la fois pragmatiques et fondés sur des principes,à la fois politiques et culturels, plutôt que l’un ou l’autre. Pour conclure, nous montrons comment les éléments discutés dans la section précédente croisent et se connectent avec les cultures politiques spécifiques de l’opposition non-violente, et suggèrent plusieurs domaines de recherche.