Note de lecture ( je reproduis ici un travail réalisé en 2011 dans le cadre de mes études l’exercice iposait de trouver des liens entre deux ouvrages et j’avoue que parfois c’est un peu forcé ! Cepndant je reproduis ici ce travail parce qu’il me semble que le capitalise artistique est en train de supplanter les autres âges du capitalisme.
BRETON Philippe, Le culte de l’Internet : Une menace pour le lien social ? Paris, La Découverte, 2000
REBILLARD Franck, « The postmodern analyses of the internet : an examination of their ideological new clothes » ; communication au colloque Médias, Communication, Information : Célébrer 50 ans de théories et de pratiques de l’International Association for Media and Communication Research en juillet 2007. Version 2, octobre 2007. http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/index.php?halsid=o10hvoggcc8r04b7aqmb7pue14&view_this_doc=sic_00177507&version=2 (consulté le 29/12/2010)
En plus des inégalités entre Nord et Sud, ville et campagne, riches et pauvres, une autre fracture numérique sépare technophobes et technophiles. Selon les uns, Internet est au mieux un café du commerce voué aux discours populistes, au pire une jungle pleine de danger pour les mineurs, voire une arme de destruction massive de la société et de la culture. Pour les autres c’est l’instrument d’un vaste changement social qui libérera l’humanité de toutes les aliénations. Les auteurs des deux textes présentés ici prônent une troisième voie, où l’on reconnait les avantages des formidables progrès techniques apportés par Internet, sans verser dans la construction d’une nouvelle utopie. Ils proposent une approche raisonnée des TIC, « laïque » selon Breton, et se proposent de répondre à la question
« Quelles sont les idéologies à l’œuvre derrière les discours des zélotes d’Internet ? »
Les deux approches sont différentes. Philippe Breton, sociologue de la culture, chercheur au CNRS, a écrit un essai, destiné au grand public, qu’il entend mettre en garde contre les menaces que font courir au lien social, selon lui, les discours des fondamentalistes de la transparence. Franck Rebillard, maître de conférence en SIC, prenant la parole lors d’un colloque scientifique, parle d’un point de vue épistémologique. Il cherche à dévoiler les idéologies à l’œuvre dans certains discours scientifiques (ou de vulgarisation), parce que celles-ci empêcheraient de voir la réalité des pratiques sociales à l’œuvre sur Internet. Nous tenterons de répondre à la question posée en montrant dans un premier temps en quoi les deux auteurs s’accordent dans les reconnaissances en paternité du discours actuel sur le web, et dans un second temps, ce qui fait l’originalité de l’approche de chacun.
Les deux auteurs s’accordent pour dire que les discours sur Internet trouvent leurs racines dans une tradition plus anciennes. Ils s’appuient tous les deux sur l’ouvrage d’Armand Mattelart Histoire de l’utopie planétaire. De la cité prophétique à la société globale qui fait remonter aux grandes découvertes de la Renaissance, et à l’Utopia de Thomas More en 1516, la matrice de « grands récits de réformes des sociétés humaines ». Rebillard s’appuie sur ce travail pour montrer que l’arrivée de nouvelles technologiques a toujours donné lieu à un discours idéologiques, qui cherche à prédire les conséquences de ces inventions sur nos façons de vivre. Ils sont parfois apocalyptiques mais plus souvent utopiques. Ce type de discours s’est particulièrement focalisé sur les TIC, avant mêmes qu’elles ne deviennent numériques, et de siècle en siècle, depuis la Révolution française, prédit à chaque fois une destruction de la hiérarchie pyramidale de la transmission de connaissance, au profit d’une répartition horizontale, égalitaire de celle-ci.. Ainsi, l’arrivée du télégraphe est saluée par la Convention, en 1794, comme « la plus utile conquête de l’égalité, et Jack London déclare au début du XXéme siècle que le cinéma fait tomber les barrières de la pauvreté et de l’éducation et diffuse la connaissance dans un langage que chacun peut comprendre L’ex vice président Al gore retrouvait ses accents pour parler des « autoroutes de l’information » en 1994. Ainsi, depuis le développement d’internet dés les années 90 la société est repensée entièrement, les suffixe cyber- ou e- sont appliquées aux relations sociales, aux façons de travailler, aux consommations culturelles et médiatiques, comme si le web allait magiquement tout changer. Rebillard étudie plus particulièrement dans son article les discours sur le Web 2.0. Celui-ci est présenté, non seulement comme un saut technologique mais aussi comme un changement de société : on développe une série d’opposition entre l’avant et l’prés Web 2.O. : verticalité et horizontalité, passivité et activité, contrôle et liberté. Pour appuyer sa thèse du caractère religieux des discours technophiles Breton puise chez Mattelart le caractère religieux des odes au progrès du XIX éme siècle, et les discours qui, dans les années 60, saluent « une nouvelle ère », chez Toffler, Daniel Bell ou McLuhan par exemple.
Breton et Rebillard s’accordent également pour puiser dans les ouvrages de Pierre Musso la démonstration que les discours sur Internet mettent à contribution le saint-simonisme. Dans Télécommunications et philosophie des réseaux. La postérité paradoxale de Saint-Simon (1997) et Critique des réseaux (2003), ce professeur en SIC montre comment chez Saint-Simon, les réseaux sont omniprésents, et associés à l’idée de progrès, de bonheur pour l’humanité. Ce penseur de la société industrielle croyait que le bonheur universel était possible à condition de laisser à des experts, ingénieurs, artistes, chefs d’entreprises le soin de prendre les bonnes décisions. Il est, pour Musso à l’origine de la « philosophie des réseaux » une idéologie qui prête à ces dernier des vertus démesurées et nuit à une étude raisonnés de ceux-ci. Le saint-simonisme est empreint de religiosité et Breton y trouve un argument supplémentaire à sa thèse. Rebillard applique cette grille d’analyse à deux textes portant sur le « journalisme numérique », qui inclut à la fois les blogs tenus par des journalistes professionnels et les sites de « journalisme citoyen ». Il s’agit de l’ouvrage de Joël de Rosnay La révolte du pronétariat – Des mass média aux média des masses (2006), et de l’article de l’universitaire américain Mark Deuze « Liquid Journalism » paru dans la revue Polical Communication Report en 2005. Pour Rebillard, Le saint-simonisme transparait chez Joël de Rosnay dans sa glorification des réseaux de « création collaborative et intercréative » opposés aux structures pyramidales. Il est également présent dans l’article de Deuze, selon Rebillard, Ainsi le « liquid journalism » du titre est un hommage à une forme plus fluide de journalisme qui appariait sur Internet, par opposition aux structures rigides qui régissent la production de news dans l’univers professionnel traditionnel.. Cet hommage de la fluidité était déjà présent dans Saint-Simon. Celui est organiciste : il pense que la société peut être assimilée à un organisme humain. Il justifiait la supériorité des réseaux en remarquant que la circulation du sang dans les artères est indispensable à la vie, et donc que les fluides sont supérieurs aux solides.
Les deux auteurs voient également une source importante des discours actuels dans la cybernétique de Norbert Wiener, qu’ils présentent tous les deux comme une idéologie. Pour Rebillard, la référence à la cybernétique est claire lorsque de Rosnay fait appel aux lois de la biologie et de la physique pour décrire la société et lorsqu’il définit Internet comme un « écosystème ». Elle apparaît également dans l’article de Deuze, lorsque celui déclare que la valeur de l’information repose moins sur celle-ci que sur les interactions qui relient ce qui la donne et ceux qui la reçoit. Philippe Breton avait déjà critiqué la « vision » de Wiener en 1992, dans L’Utopie de la communication et il y revient en 2000. Pour lui la cybernétique se situe entre deux écueils : l’antihumanisme et la religiosité. L’utopie de la transparence, dans laquelle hommes et machines sont mis sur le même plan, et où la valeur d’un être humain est uniquement fondée sur sa capacité à transmettre et à recevoir de l’information lui semble nier toute l’épaisseur de la pensée et des sentiments humains. D’autre part, le paradigme informationnel dans lequel la seul chose qui compte dans une société est la manière dont l’information circule lui apparaît comme une sacralisation de celle-ci, qui serait dont à l’origine du nouveau culte que Breton entend dénoncer dans son essai.
Comme nous venons de le voir, les deux auteurs s’accordent pour retrouver dans les discours sur Internet des influences de la vielle « utopie planétaire », de la pensée de Saint-Simon et de celle de Norbert Wiener. Cependant, leur thèse principale réside dans ce qui les différencie. Breton entend dans son essai pointer ce qu’il y a de religieux dans le discours dominant, tandis que l’apport de Rebillard réside dans le rapprochement qu’il fait entre l’idéologie néocapitaliste et les arguments des « zélotes d’Internet »
Breton voit dans les discours sur Internet tout ce qui constitue l’armature d’une religion :
« la promesse d’un monde meilleur », « l’incarnation d’une vision » et un « univers de croyance » .
Le monde meilleur c’est le village global de McLuhan, c’est la « révolution informatique », c’est la « révolution «informatique », c’est le « cyberspace » où les humains sont appelés à vivre pour remplacer le monde matériel. L’auteur vise par exemple Al Gore qui conclut son fameux discours sur les « autoroutes de l’information » par cette promesse messianique « La révolution de l’information changera pour toujours la façon dont les gens vivent, travaillent et interagissent. ». il voit les fondements du culte d’Internet dans deux ouvrages parus en 1995, qui ont bénéficié d’une forte médiatisation : L’homme numérique de Nicholas Negroponte, et La route du futur de Bill Gates. Dans le premier, l’auteur, chercheur au MIT, prédit selon Breton une nouvelle Jérusalem, à condition que nous introduisions le numérique dans chaque aspect de nos vies :
« l’autoroute de l’information est en train de créer un tissus social mondial entièrement nouveau ».
Dans le second, le créateur de Microsoft annonce
« un nouveau mode de vie dans un monde médiatisé ».
Breton a beau jeu également de pointer des accent religieux dans l’œuvre abondante de Pierre Lévy, philosophe et professeur en SIC, qui parle d’Internet comme une « citadelle de lumière », et dont « l’intelligence collective » évoque la noosphère du jésuite Teilhard de Chardin , un lieu d’agrégation de toutes les pensées humaines qui entourerait la terre comme un nuage de conscience collective. La vision qui serait incarnée dans ce nouveau culte est celle de Norbert Wiener. Elle aurait engendré, contre la volonté de cet auteur un « univers de croyances » construit autour d’un dogme : l’idéal de transparence. Celui-ci pour Breton renvoie à un idéal religieux « de lumière, d’harmonie et d’extase. » Cette dernière serait liée au Bouddhisme, pratiquée par de nombreux informaticiens californiens, comme à l’usage du LSD qui aurait permis la création des premiers Apple ! Le thème de la transparence est également présent depuis la renaissance dans de nombreuses utopies d’inspiration chrétienne, qui appelle à la construction d’une cité de verre. Ce dogme incite les « fondamentalistes d’Internet » à lutter contre tout ce qui projette de l’opacité : « la vie privée, la Loi, la médiation et la parole incarnée ». Concernant la vie privée, Breton qui écrit avant la fondation de Facebook et la diffusion de Loft story voit déjà une dérive dangereuse dans les expériences de lifecast, où les vies quotidiennes d’internautes sont filmées en permanence et diffusées sur le Net. Le rejet de la loi s’exprime dans le refus de la censure et des monopoles culturel, prôné par Négroponte et Lévy. Elle se traduit par le téléchargement illégal, qui nie les droits de l’auteur, et la glorification de délinquants, tels que les hackers. La médiation est rejetée au nom de le religion du one to one, dans tous les secteurs, dont notamment l’enseignement le journalisme et la représentation politique. Le refus de la « parole incarnée », est pour Breton, une conséquence de l’idéologie cybernétique, pour mieux jouer son rôle de nœud de communication, les humains doivent gommer leur corporalité, et se transformer en machine à recevoir et transmettre.
Pour Rebillard, il faut prendre en compte un autre paradigme idéologique qui lui semble omniprésent dans le discours sur le Web 2.0 : la pensée capitaliste post-moderne. Cette idéologie néocapitaliste est décrite par Luc Boltanski, sociologue, et Eve Chiapello, enseignante en management, dans leur monographie Le nouvel esprit du capitalisme . Pour eux, le capitalisme, qui doit trouver un nouveau souffle, pour répondre à la déception face à son incapacité à rendre les gens heureux, le fait en s’appuyant sur la « critique artistique » du capitalisme qui prend sa source dans les mouvements de contestation des années 60-70. Celle-ci, s’oppose à la critique sociale qui cherche à améliorer le sort des salariés en jouant sur les conditions de travail, les salaires… La « critique artistique » estime que ces conquêtes sociales ne luttent en rien contre le caractère aliénant du capitalisme. Elle propose de substituer à une offre imposée et standardisée à des consommateurs passifs, des produits plus authentiques, conçus en impliquant les consommateurs. Cela correspond, dans les domaines des TIC à l’éclosion à partir des années 60 des radios libres, des chaînes câblées dont le projet était de montrer qu’on peut se passer des groupes capitalistes pour diffuser des informations et de la culture. Aujourd’hui ces médias sont contrôlés par les mêmes groupes qu’ils voulaient défier. Mais l’espoir d’une création autonome d’information réapparait dans les années 90, avec l’idée que le web pourra permettre à chacun d’être son propre éditeur, son propre média. Pour Rebillard, le parallèle est évident entre le lecteur-auteur du web 2.0. et le consommateur actif de la « critique artistique » Or cette critique revient dans les années 90, notamment dans les manuels de managements étudiés par Boltanski et Chiapello, non plus en opposition au capitalisme mais comme une légitimation des nouvelles formes de capitalisme. Des termes comme activité (opposée à passivité) , mobilité, flexibilité, apparaissent comme des valeurs clé de la nouvelle entreprise capitaliste du post-fordisme, organisée en réseau. Les travailleurs de cette nouvelle économie doivent être capables de passer d’un projet à l’autre, et de tisser des liens entre eux. L’insistance sur l’autonomie productive, et la décentralisation égalitaire, trouvent un écho dans les concepts d’autonomie créative et d’égalitarisme horizontal des enthousiastes du Web 2.0. De même au libéralisme ( la liberté du commerce) du néo-capitalisme répond la liberté d’information et d’expression revendiqués par les premiers utilisateurs d’Internet. Entreprises et geeks se trouvent un ennemi commun, accusé de vouloir restreindre la circulation des produits comme des idées : l’Etat. Cette alliance libérale-libertaire est également signalé par Breton, qui pense qu’elle cherche à prendre la place des grandes idéologies du XX ème siècle, en répondant à l’angoisse suscitée par la mondialisation. Pour Rebillard, Joël de Rosnay dans le droit fil de la « critique artistique » critique le capitalisme traditionnel pour valoriser la création autonome d’information, en attaquant les mécanismes de régulation étatiques. Dans l’article de Deuze la vision de systèmes ou chacun est actif au même titre, consommateurs et producteurs, apparaît à Rebillard dérivé à la fois de la cybernétique, et du nouveau capitalisme.
Les conclusions des auteurs sont également, très différentes. L’objet de l’article de Franck Rebillard se place sur un plan épistémologique. Son but est de mettre en valeur le « voile idéologique » néocapitaliste qui, selon lui est devenu le discours dominant parce qu’il est celui que les industries culturelles et médiatiques ont intérêt à favoriser. Il rend plus difficile une approche raisonnée, des pratiques sociales réelles et une analyse socio- économique du Web 2.0., comme le font également les idéologies saint-simonienne et cybernétiques déjà repérées par de nombreux auteurs. L’apport de Rebillard est donc intéressant parce qu’il fournit un nouveau critère pour une grille d’analyse des discours sur le Web. Philippe Breton lui, veut dénoncer les menaces que le culte d’Internet fait peser sur le lien social : la peur de la rencontre directe qui s’appuie sur celle de la violence des autres, et des épidémies, le recul des libertés par la diminution de l’esprit critique, la désynchronisation des activités sociales et l’accroissement des inégalités à cause des fractures numériques. Curieusement, l’auteur a dans son conclusion des accents apocalyptiques qui sont le reflet inverse des utopies qu’il dénonce. D’autre part, son analyse s’appuie sur le discours des élites, scientifiques, politiques, journalistes, et non sur l’observation des usages réels d’Internet. Cela évoque les dénonciations de la télévision comme instrument d’asservissement des masses, avant que les études de la réception et les analyses d’usages montrent que les récepteurs, loin d’être passifs, s’emparent de ce média pour construire une représentation du monde correspondant à leurs préoccupations et leurs intérêts propres. Cette absence de prise en compte de la manière dont sont réellement reçus les discours sur le Web marque la limite de l’essai de Breton.