Bernard Langlois ensuite fondera Politis. Comme il est ancien élève de l’Ecole supérieure de journalisme ( ESJ-Lille) il y était fréquemment cité en exemple comme un journaliste courageux, qui a su hiérarchiser l’information en estimant que la mort d’un dirigeant libanais dans un attentat avait plus d’importance que celle de la souveraine d’une royaume d’opérette.
Rn 1924 des jeunes gens excités saluait la mort d’Anatole France par un pamphlet dont je reprends le texte dur une excellente page Anatole France était alors un écrivain célèbre, lu, un des symboles de la bonne conscience bourgeoise de gauche. Les jeunes gens des poètes inconnus vivants de trafic, et disait on drogués. On les traita de tous les noms. Breton, Aragon, Soupault, le gentil Eluard, Delteil et un ami d’Aragon qui a mal tourné. Des détails ici
Il était devenu si hideux, qu’en passant sa main sur son visage il sentit sa laideur.
- FRANCE (Thaïs)
L’ERREUR
Anatole France n’est pas mort ; il ne mourra jamais. Quelques braves écrivains dans une dizaine d’années auront inventé un nouvel Anatole. Il y a des gens qui ne peuvent pas se passer de ce personnage comique, le « plus grand homme du siècle » ou « un maître écrivain ». On recueille ses moindres mots, on étudie à la loupe ses moindres phrases et puis on bêle : « Comme c’est beau…, mais c’est magnifique, c’est splendide ! » Le maître éternel.
Celui qui vient de disparaître n’était pourtant pas très sympathique. Il n’a jamais songé qu’à son petit intérêt, à sa petite santé. Il attendait la mort, paraît-il. C’est une jolie solution. Mais à part cela, sérieusement qu’a-t-il fait, à quoi a-t-il pensé ? Puisqu’il ne s’agit aujourd’hui que de déposer une palme sur un cercueil, qu’elle soit aussi lourde que possible et qu’on étouffe ce souvenir.
Un peu de dignité, Messieurs de la famille ! Pleurez toutes les larmes de votre corps. Anatole a rendu ce qu’on appelait son âme. Vous n’avez rien à attendre de cette mémoire molle et sèche. C’est fini !
La nuit descend déjà. On reste étonné, lorsqu’on a le courage de parcourir les articles nécrologiques, de la pauvreté des éloges décernés à feu France. Quelles tristes couronnes en simili-celluloïd ! On rapporte régulièrement le mot de Barrès : « C’était un mainteneur ». Quelle cruauté ! le mainteneur de la langue française : cela fait penser à un adjudant ou à un maître d’école très pédant. Je pense que c’est une singulière idée que de perdre quelques minutes à adresser des adieux à un cadavre dont on a retiré le cerveau ! Puisqu’enfin tout est fini, n’en parlons plus.
J’ai assisté aujourd’hui à de bien jolis spectacles. Des croque-morts qui se disputaient en marchant devant un cercueil. J’ai vu aussi une femme en deuil, voilée de crêpes, aller à l’hôpital tailler une bavette avec son moribond de mari et lui montrer les beaux habits tout neufs qu’elle avait achetés le matin en attendant sa mort.
Philippe Soupault
UN VIEILLARD COMME LES AUTRES
Le visage de la gloire, le visage de la mort, celui d’Anatole France vivant ou mort. Tes semblables, cadavre, nous ne les aimons pas. Que de bonnes raisons, pourtant, ils ont de durer, comme la beauté et l’harmonie qui les remplissent d’aise, qui leur mettent aux lèvres un bon sourire, un sourire de père de famille. La beauté, cadavre, nous la connaissons bien et si nous nous y prêtons, c’est qu’elle ne nous donne pas précisément à sourire. Nous n’aimons le feu et l’eau que depuis que nous avons envie de nous y jeter. L’harmonie, ah ! l’harmonie, le noeud de ta cravate, mon cher cadavre, et ta cervelle à l’écart, bien rangée dans le cercueil et les larmes qui sont si douces, n’est-ce pas.
Ce que je ne puis plus imaginer sans avoir les larmes aux yeux, la Vie, elle apparaît encore aujourd’hui dans de petites choses dérisoires auxquelles la tendresse seule sert maintenant de soutien. Le scepticisme, l’ironie, la lâcheté, France, l’esprit français, qu’est-ce ? Un grand souffle d’oubli me traîne loin de tout cela. Peut-être n’ai-je jamais rien lu, rien vu, de ce qui déshonore la Vie ?
Paul Eluard
NE NOUS LA FAITES PAS A L’OSEILLE
La France est morte ? Vive la France. La France vient encore de mourir en Touraine : une maison ferme à jamais ses persiennes, comme tant d’autres, dans ces campagnes qui font entendre partout le même claquement funèbre : les vieux s’enfouissent dans la terre, les jeunes, quand il y en a, s’en vont quelques années de reste, traîner des noms fanés sur le bitume.
Mais ce n’est qu’une France qui vient de mourir, il y en a plusieurs, il y en a qui naissent, étranges et terribles. Dans le siècle : une France comme un Far-West brut, pleine d’étrangers inquiétants, de mines de fer, d’autos et d’avions, avec des millions de nègres et un avenir de Byzance battue et fortifiée par la barbarie – hors du siècle : une poésie française qui éclate dans la peinture, qui gronde inentendue depuis cinquante ans, dans plusieurs livres téméraires, merveilleux, austères.
Et par là-dessus, il y a une France éternelle, qui a été et qui sera, comme une amoureuse qu’on n’oublie pas, même si, éventrée, crevée par une invasion, elle expire son âme personnelle, mais nous ne la connaissons pas, et personne n’a le droit d’en appeler parmi nous, que nous soyons vivants ou morts, car si depuis toujours sa figure fut tracée tout entière d’un trait foudroyant, nous ne sommes qu’un des imperceptibles siècles dont elle est tissue, et seules les étoiles contemplent cette figure dans la touchante corbeille des visages humains.
Est-ce pour ces raisons astronomiques que nous avons un peu envie de soulever nos épaules aujourd’hui quand le croque-mort vient nous dire avec des airs satisfaits : « Je vous l’avais bien dit, voilà encore la France morte. Quelle perte, mes enfants. Cette France-là, c’était la vraie, la seule, celle qu’on montre aux étrangers, et celle dont nous nous congratulons confortablement depuis quelques années que nous avons pris si claire conscience de notre clair génie. Je vous plains, mes enfants, d’avoir perdu un tel arrière-grand-père. Je vous plains pour l’avenir qui vous attend : je vous vois gentiment aplatis sous l’énorme et délicat héritage de ce grand vieux homme. Mon métier m’a amené à visiter toutes les maisons où, à la flamme louche des cierges, s’allume la gloire, la vraie, la posthume – eh bien ! de tant de chuchotements dans l’ombre j’ai appris que cet Anatole France était le seul écrivain qui ait su écrire en français, dans tout un siècle de perdition – mais écrire, ce qui s’appelle écrire, avec une table, de l’encre, des livres, et des ciseaux » ?
Mais nous n’écoutons pas les larbins. Nous savons ce que nous avons perdu, nous qui – jeunes encore – avons tant perdu de divers côtés, et par exemple des amis de notre âge qui tiendraient peut-être mieux que nous la place.
Bien sûr : Anatole France nous a sauvés. Il a sauvé les meubles. Victor Hugo écrivait bien en prose, vous savez ! Choses vues, mais après lui, en attendant Barrès ? Eh bien ! oui ! il y a eu Anatole France. Il a sauvé les mots… non, pas les mots, Dieu sait que les mots ne se sont jamais si bien portés qu’au XIXe… mais pourtant certains mots, comme sur la langue la saveur essentielle du pain et du sel… mais il a maintenu cette présence, cette vigilance, cette prudence qui fait que les mots vivent ensemble comme une nation unie et forte : cela s’appelle la syntaxe, cela peut être comme l’amour entre les citoyens. Chez lui, c’était comme le gouvernement de la France de ce temps, de ce temps-ci encore : une régence méfiante, sèche, peureuse avec, pourtant, cet air de bonhomie républicaine.
C’est le grand-père qui a fait des économies : mais il nous lègue une maligne fortune d’avare. Si nous n’avions eu que lui pour vivre, pour vivre et pour mourir ?
Encore un qui a vécu en cet âge d’or, d’avant la guerre, à quoi nous ne comprenons rien. C’est même le Français par excellence de cet âge-là, cette France-là.
Mais vous vous apercevez que toute notre piété est tournée d’un autre côté, puisqu’elle n’est pas disponible pour ce trépas douillet, pour ces funérailles abondantes qui durent depuis deux ans – que de pleureuses, à barbe.
Non, notre piété est restée à ceux qui sont morts jeunes, à qui la parole ne fut pas laissée dans la bouche comme un antique morceau de sucre, mais à qui on l’a arrachée dans le sang et l’écume. Et je vous le demande – et cette question faite, toute mon excuse pour ce ton qu’il faut bien prendre ici pour qu’on n’entende pas en Europe que des gens qui se mouchent et qui peut seul s’accorder à cette pensée fondamentale que France mort, vit la France, vivent des Frances nombreuses que d’aucuns voudraient étouffer aujourd’hui sous ce catafalque, des Frances mystiques, crédules, obscures, brutales, merveilleusement insolites dans un décor vieilli, – je vous le demande, ces enfants-là, de quel secours leur fut ce grand-père ?
Drôle de grand-père qui ressemble à beaucoup trop de grands-pères français : sans Dieu, sans amour touchant, sans désespoir insupportable, sans colère magnifique, sans défaites définitives, sans victoires complètes.
Ignorance totale de Dieu – nous nous entendons, n’est-ce pas, ô poètes éperdus dans le vide. Maigre, maigre philosophie : vous comprenez que le Jardin d’Epicure nous a fait bayer d’une inanition trop creuse, pour que l’écho n’en arrive pas jusqu’aujourd’hui. Et la politique, l’allure nationale : il nous a bien laissé tomber entre la République du boudoir de l’Histoire contemporaine, la Révolution sournoisement trahie des Dieux ont soif et le bolchevisme qui l’a peloté comme un banquier anglais. Maurras ! ce n’est pas généreux d’avoir aussi flatté cet historien-là !
Et l’amour ? les amours, à la française. Le pauvre amour du Lys Rouge. Je demande pardon aux femmes. Et l’art, la littérature ! Ce grand-père a ignoré ou bafoué tous ceux que nous aimons parmi nos pères ou nos oncles.
Non, nous ne pouvons pas oublier tout cela, si nous nous rappelons que pourtant nous lui devons l’outil qui nous fait travailler et vivre et qui peut-être se cassera dans nos mains épaissies sur la crosse du fusil ou sur le volant. Il nous a donné la vie, mais il a manqué nous tuer. Alors quoi ?
Nous ne pouvons pas oublier qu’à quatorze ans on nous faisait adorer ces vieux bonshommes : Bergeret, Coignard, Bonnard. Vieux marcheurs, vieux pions habiles.
Notre amour est ailleurs, et notre espoir, ô métamorphoses, mais notre amertume est de ce côté. Il est bon qu’on la sente dans les larmes des crocodiles qui vont ramper sur l’avenue du Bois, religieux.
Pierre Drieu La Rochelle
ANATOLE FRANCE OU LA MEDIOCRITE DOREE
Eh bien non, je ne peux pas, je ne veux pas le nommer : Maître ! Il y a dans cette appellation quelque chose de haut et de grave à quoi cet esprit bas n’a jamais atteint. Et lorsque je dis esprit bas, j’entends : à l’étiage de la foule. Il y a entre A. France et un calicot une différence de quantité et non pas de qualité. Eh bien, je n’aime, je ne respecte que la qualité.
Oui, je sais, tous les tempéraments femelles se pâment devant sa prose : mais les mâles !
Cet homme médiocre a réussi à étendre les limites du médiocre. Cet écrivain de talent a poussé son talent jusqu’à la porte du génie. Mais il est resté à la porte.
On raconte qu’un jour, à M. Léopold Kahn lui disant : « Vous êtes le meilleur des hommes ! » Anatole France répondit : « Je crois être, au moins, un civilisé. » Ah !combien prophétique parole, et qu’il me plaît de lui appliquer dans son sens le plus moche, des reliures de veau, de l’esprit, une tasse de thé à la main, un civilisé, oui mon cher, un civilisé ! – Nous, nous avons besoin de barbares !
Poli ! Cet homme a été pleinement, infiniment poli, dans sa personne et dans son style. Poli comme une perle ! Mais le moindre grain de mil…
Nous avons soif et nous avons faim. Anatole France, c’est le régime des hors-d’oeuvre !
Vraiment, il ne m’intéresse pas, il ne nous intéresse pas. C’est de l’indifférence absolue. Il ne jouait aucun rôle dans notre vie, dans nos recherches, dans nos combats. Il vivait solitaire, hermétiquement clos. Chez lui, pas la moindre trace de curiosité pour l’ardente jeunesse, pas un cri, pas un geste. Oui, nous nous intéressons aussi peu à lui qu’il s’est intéressé à nous. – N’est-ce pas notre droit ?
Il a été notre Voltaire, qu’ils disent ! Oui, Voltaire, et rien que Voltaire. Or ce n’est pas de Voltaires que nous avons besoin (cela pullule, les petits Voltaires, les Voltaires au petit pied), nous avons besoin de Rousseaux, de Bonapartes, de Robespierres…
Et que son titre de communiste ne nous en impose point ! Là où manquent les actes, la parole est stérilité. Blanqui passa quarante ans en prison. Je n’admets les communistes qu’en prison…
En réalité, Anatole France dut beaucoup aux salons. Parbleu, c’est le salonnard-type, ou si vous préférez, le salonneux…
C’est un vase – vide. Ce bibelot peut amuser l’oeil un instant, mais il ne saurait prendre l’homme jusqu’aux entrailles. Cette perfection formelle manque de profondeur et de jus. Vide ! Tout est vide en lui et autour de lui. Ses livres coulent entre les doigts comme du sable. Son oeuvre est bâtie sur le sable…
C’est une surface plane – une seule dimension. Aujourd’hui, ce côté dubitatif, négatif de son intelligence, cela nous paraît si facile ! C’est vraiment trop simple !
Seule la mémoire fonctionne dans son univers. Des réminiscences rassemblées avec goût. Et certes je ne nie pas le goût. Je ne nie pas la grâce, l’agilité d’esprit, les heureuses manières, la limpidité de la langue, l’harmonie et le miel ; mais je dis que dépourvues de substance et de moelle, isolées et stériles, toutes ces vertus, je m’en fous !
Ce sceptique, cet aimable sceptique me laisse froid. C’est pour la passion que je me passionne. C’est d’optimisme, de foi, d’ardeur et de sang que je raffole. J’aime la vie, et mon coeur ne bat que pour la vie.
Anatole France est mort !
Joseph Delteil
REFUS D’INHUMER
Si, de son vivant, il était déjà trop tard pour parler d’Anatole France, bornons-nous à jeter un regard de reconnaissance sur le journal qui l’emporte, le méchant quotidien qui l’avait amené. Loti, Barrès, France, marquons tout de même d’un beau signe blanc l’année qui coucha ces trois sinistres bonhommes : l’idiot, le traître et le policier. Ayons, je ne m’y oppose pas, pour le troisième, un mot de mépris particulier. Avec France, c’est un peu de la servilité humaine qui s’en va. Que ce soit fête le jour où l’on enterre la ruse, le traditionnalisme, le patriotisme, l’opportunisme, le scepticisme, le réalisme et le manque de coeur ! Songeons que les plus vils comédiens de ce temps ont eu Anatole France pour compère et ne lui pardonnons jamais d’avoir paré des couleurs de la Révolution son inertie souriante. Pour y enfermer son cadavre, qu’on vide si l’on veut une boîte des quais de ces vieux livres « qu’il aimait tant » et qu’on jette le tout à la Seine. Il ne faut plus que mort cet homme fasse de la poussière.
André Breton
AVEZ-VOUS DEJA GIFLE UN MORT ?
La colère me prend si, par quelque lassitude machinale, je consulte parfois les journaux des hommes. C’est qu’en eux se manifeste un peu de cette pensée commune, autour de laquelle, vaille que vaille, un beau jour ils tombent d’accord. Leur existence est fondée sur une croyance en cet accord, c’est là tout ce qu’ils exaltent, et il faut pour qu’un homme recueille enfin leurs suffrages, pour qu’aussi un homme recueille les suffrages des derniers des hommes, qu’il soit une figure évidente, une matérialisation de cette croyance.
Les conseils municipaux de localités à mes yeux indistinctes s’émeuvent aujourd’hui d’une mort, posent au fronton de leurs écoles des plaques où se lit un nom. Cela devrait suffire à dépeindre celui qui vient de disparaître, car l’on n’imagine pas Baudelaire, par exemple, ou tout autre qui se soit tenu à cet extrême de l’esprit qui seul défie la mort, Baudelaire célébré par la presse et ses contemporains comme un vulgaire Anatole France. Qu’avait-il, ce dernier, qui réussisse à émouvoir tous ceux qui sont la négation même de l’émotion et de la grandeur ? Un style précaire, et que tout le monde se croit autorisé à juger par le voeu même de son possesseur ; un langage universellement vanté quand le langage pourtant n’existe qu’au-delà, en dehors des appréciations vulgaires. Il écrivait bien mal, je vous jure, l’homme de l’ironie et du bon sens, le piètre escompteur de la peur du ridicule. Et c’est encore très peu que de bien écrire, que d’écrire, auprès de ce qui mérite un seul regard. Tout le médiocre de l’homme, le limité, le peureux, le conciliateur à tout prix, la spéculation à la manque, la complaisance dans la défaite, le genre satisfait, prudhomme, niais, roseau pensant, se retrouvent, les mains frottées, dans ce Bergeret dont on me fera vainement valoir la douceur. Merci, je n’irai pas finir sous ce climat facile une vie qui ne se soucie pas des excuses et du qu’en dira-t-on.
Je tiens tout admirateur d’Anatole France pour un être dégradé. Il me plaît que le littérateur que saluent à la fois aujourd’hui le tapir Maurras et Moscou la gâteuse, et par une incroyable duperie Paul Painlevé lui-même, ait écrit pour battre monnaie d’un instinct tout abject, la plus déshonorante des préfaces à un conte de Sade, lequel a passé sa vie en prison pour recevoir à la fin le coup de pied de cet âne officiel. Ce qui vous flatte en lui, ce qui le rend sacré, qu’on me laisse la paix, ce n’est pas même le talent, si discutable, mais la bassesse, qui permet à la première gouape venue de s’écrier : « Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ! » Exécrable histrion de l’esprit, fallait-il qu’il répondît vraiment à l’ignominie française pour que ce peuple obscur fût à ce point heureux de lui avoir prêté son nom ! Balbutiez donc à votre aise sur cette chose pourrissante, pour ce ver qu’à son tour les vers vont posséder, râclures de l’humanité, gens de partout, boutiquiers et bavards, domestiques d’état, domestiques du ventre, individus vautrés dans la crasse et l’argent, vous tous, qui venez de perdre un si bon serviteur de la compromission souveraine, déesse de vos foyers et de vos gentils bonheurs.
Je me tiens aujourd’hui au centre de cette moisissure, Paris, où le soleil est pâle, où le vent confie aux cheminées une épouvante et sa langueur. Autour de moi, se fait le remuement immonde et misérable, le train de l’univers où toute grandeur est devenue l’objet de la dérision. L’haleine de mon interlocuteur est empoisonnée par l’ignorance. En France, à ce qu’on dit, tout finit en chansons. Que donc celui qui vient de crever au coeur de la béatitude générale, s’en aille à son tour en fumée ! Il reste peu de choses d’un homme : il est encore révoltant d’imaginer de celui-ci, que de toute façon il a été. Certains jours j’ai rêvé d’une gomme à effacer l’immondice humaine.
Louis Aragon
A LA PROCHAINE OCCASION IL Y AURA UN NOUVEAU CADAVRE (1)
(1) Les extraits de presse qui, dans ce tract, entourent les textes signés, sont renvoyés ici dans la partie « Description et Commentaires », infra. (N.D.E.)